Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Jean Paulhan à Robert Chatté, 1956-05-22 Paulhan, Jean (1894-1962) 1956-05-22 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1956-05-22 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
IMEC, fonds PLH, boîte 118, dossier 375277
Français
Mardi, 22 mai Mon cher Jean,

Pour bien te dire ce que je suis devenu, depuis notre dernier déjeuner, le mieux est de te citer ce passage du Journal de Léautaud, T.III, p. 105 :

« Il y a des jours qu’on n’a envie de rien, qu’on n’a de goût pour rien, qu’on ne ferait pas un geste même pour prendre le monde s’il s’offrait, qu’on a horreur de tout, choses et gens, les autres, soi-même, son travail, sa vie, son passé, des jours que l’idée de la mort rend tout puéril, inutile et ridicule, qu’on a à la fois pitié et horreur de soi, dans un grand découragement de tout, qu’on voudrait ne plus rien voir, savoir entendre, se rappeler ni espérer, qu’on s’enferme dans l’obscurité comme si c’était un peu, un moment, cesser d’exister. Comme j’ai eu de ces jours dans ma vie. Je me demande même, tant ils ont été nombreux, comment j’ai pu faire le peu que j’ai fait. Quelles victoires successives, oh ! les toutes petites victoires ! j’ai du [sic] remporter sur moi-même… »

[Mot illisible biffé] Cependant je répétais que j’avais aussi peur de vivre que de mourir. J’espérais le bel accident, à un instant inopiné, qui me supprimerait, je t’écrivais des lettres que je n’osais pas t’expédier. Puis Borel est venu à bout de ma résistance pour me livrer encore à deux reprises à la fée électricité. Enfin amélioré, j’ai téléphoné pour apprendre que tu étais absent jusque vers le 15 mai. Je pense donc ne pas être trop en retard pour te retourner le Petit Ami et pour le champagne que voici. Maintenant il me reste encore à te rendre le peu d’or que j’ai amassé pour toi. Je voudrais aussi te montrer tout ce qui me reste à vendre. Parmi cela il y a certaines choses que tu consentirais peut-être à m’échanger contre bien des choses que j’aimerais te montrer. Sois donc gentil et dis-moi quand tu pourras venir jusque chez moi pour juger tranquillement avant d’aller déjeuner aussi tranquillement ; dis-le moi, dis.

Amitiés à Madame et Monsieur Fred

Et tout à vous deux

Robert