Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Jean Paulhan à Julien Lanoë, 1928-09-16 Paulhan, Jean (1884-1968) 1928-09-16 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1928-09-16 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
16 septembre 1928 Monsieur,

Si l’unanimisme est aujourd’hui pauvre et livresque, c’est qu’il est devenu un filon littéraire. J'admets que ce soit malgré Jules Romains lui même, mais c’est un fait qui ne se nie pas. On pouvait d’ailleurs le prévoir : le talent des livres qui l’exposaient était trop remarquable pour que le sentiment mis en jeu ne parût plus bientôt qu’un prétexte. Comme vous le dites vous-même, la réussite a été fort belle, et le malentendu s’en est aggravé. Aucun écrivain original n’y échappe : le mode d’expression, ses ressources pour l’avenir retiennent toute l’attention – et quand l’auteur qui l’a créé continue lui-même à l’exploiter avec fruit, tout le reste s’efface aux yeux de son public. Vous ne pouvez m’empêcher de dire que les bandes rouges de la NRF à la devanture des libraires, les articles des critiques professionnels, la satisfaction des dilettantes avides d’une nouvelle formule d’art, ont défloré l’unanimisme et que la vie tout en acte de Robert Garric est infiniment plus émouvante.

J'aime beaucoup MORT de QUELQU'UN et le VIN BLANC de la VILLETTE. Mais vous ressentez comme une injure la simple observation que la littérature a un champ d’influence tout autre qu’un homme d’action !

Je me permets d’estimer celui-ci davantage à cause de l’efficacité tangible, directe, immédiate. A cause, aussi, de la liberté intérieure de cet homme. Car jamais Garric n’aura même la faculté de se dire qu’il aurait pu avoir son appartement avenue du Bois.

L'injure ne vient pas de moi (qui ne me permets aucunement de vous juger et constate seulement les limites de l’écriture) mais de vous qui parlez de l’ingratitude et le de la « muflerie » de ma génération envers ses aînés. Je vous assure, Monsieur, que je ne revendique nul écrivain, quel qu’il soit, comme membre de ma famille et que la carrière d’aucun ne me tente. Vous voyez à quels terribles malentendus expose la littérature puisqu’il a suffi que j’écrive une note de deux pages dans une revue (sur un sujet sans rapport avec les lettres) – pour que vous me mettiez de force dans votre corporation et m’estimiez déjà votre débiteur !

Croyez néanmoins que je regrette la peine que je vous ai faite par la brièveté d’une parole sans nuance, et soyez assuré que mes sentiments de respect et de sympathie viennent d’un coeur absolument sincère

Julien Lanoë.

Votre carte semble datée du 3 Septembre, mais je ne l’ai reçue qu’hier.