Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Claude Elsen à Jean Paulhan, 1950 Elsen, Claude (1913-1975) 1950-07-31 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1950-07-31 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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jeudi soir [1950] Mon cher Jean,

L’adresse de Roger Coroli : 108, boulevard Jourdan (XIV) .

Il paraît que l’on songe à me proposer d’entrer au comité de rédaction de la Table .

Cette école d’Orientation littéraire me semble répondre assez à votre projet. Savez-vous qui s’en occupe, si c’est sérieux ou – comme souvent – une escroquerie ?

On me dit que la radio annonce une émission « Qui êtes-vous, Jean Paulhan » ? Quand passera-t-elle ?

J’ai passé, cet après-midi, deux heures fort agréables chez Kerchove et Nadine Lalys. C’est curieux de se « reconnaître » et d’avoir tant de souvenirs communs, tout en s’étant, en somme, à peine connu…Non seulement K. [Kerchove] ne me garde aucune rancune néo-manichéenne, mais il me semble que nous sympathisons assez (il est vrai que je dois avoir assez changé), et il m’a confié un manuscrit. Je suis, finalement, ravi de cette rencontre. (Est-ce vous qui donnez ainsi aux choses une couleur plus séduisante, bénéfique?)

Merci, pour Lambrichs. En fait, nous n’avons jamais beaucoup sympathisé, même avant . Je crois vaguement me souvenir qu’il avait assez mal pris, en 37-38, la sympathie que me portait une dame sur laquelle il avait des vues et, 40-41, le refus d’un texte de lui par « Cassandre » (ce dont il devrait pourtant me savoir gré, vu la suite…)Quant aux choses « dangereuses » que j’ai pu écrire (et que je regrette bien de ne pouvoir vous montrer), si je les publiais aujourd’hui j’imagine qu’on les jugerait marquées au coin du plus solide et du plus opportuniste bon sens. L’opportunisme n’a malheureusement jamais été mon fort. Pas plus que ces antipathies durables, qui me surprennent toujours un peu. (J’ai dû parler de et à L. [Lambrichs] pour la dernière fois en 1940…)Je sais bien que nous étions vaincus, que nous étions occupés, etc. : mais ne vous ai-je pas dit que je suis, naturellement et en dehors de tout raisonnement, insensible à ces choses ? Je suis tout prêt à en avoir honte, mais je suis ainsi fait que rien ne me paraît plus stupide que la guerre ni plus étrange que les sentiments qu’elle fait naître, que je préfère n’importe quelle paix à n’importe quelle guerre, que je me sens plus proche d’un Européen (même s’il m’ « occupe ») que d’un Américain ou d’un Russe (même s’ils affirment vouloir me « libérer »),- et qu’enfin je ne voyais aucun avantage à ce que Russes et Américains saccagent l’Europe pour, ensuite, recommencer à s’y « expliquer » entre eux, ainsi qu’ils vont le faire.Mais à quoi bon revenir sur tout cela, n’est-ce pas ? Je serais, néanmoins, heureux d’en reparler librement avec vous.

J’espère vous voir un moment (un matin?) la semaine prochaine, et vous souhaite, en attendant, un Noël paisible (Yvette aussi, qui vous aime beaucoup).

Votre amiGérard