J’ai eu l’imprudence de dire devant Nimier que je vous avais accompagné au lit de mort de Gide, que Léautaud y était, etc. : il n’en faut pas davantage pour qu’on me demande un petit papier là-dessus. J’espère que cela ne vous ennuie pas.
(Yvette m’assure que Gide nous a plus marqués que je ne le dis, nous qui tournons autour de la quarantaine. Et ma foi, c’est peut-être bien possible. Certains propos d’Amrouche, à la radio, pourraient me le donner à penser. Il faudrait, quelque jour, faire une enquête là-dessus).
À « Opéra », tout me paraît se présenter assez bien. Ma collaboration m’assurera, semble-t-il, quelque 25 ou 30.000 par mois. (5.000 par chronique radio + articles et notes diverses)
J’attends d’être encore un peu mieux « incorporé » à la nouvelle équipe (on me dit le désirer) pour parler de Delange.
(Confidentiellement : il y aura, chaque semaine, une page consacrée à un écrivain. Nimier songe à une prochaine « page » Jean Paulhan. Et souhaite que je collabore à sa préparation.)
Jean, je voudrais savoir ce que vous pensez (entre nous) de l’ « affaire » Étienne Gilson. Avez-vous lu sa lettre, dans le Monde de ce soir (mercredi) ? Moi, je trouve sa position tout à fait défendable, et me fais régulièrement eng… [engueuler?] parce
J’en ai fini – pour l’instant – avec les divers travaux de correction, remaniements de ms. [manuscrits], etc., que j’avais acceptés. Il me reste une traduction à achever, puis – en dehors d’ « Opéra » - je ne veux plus penser qu’à terminer Homo eroticus .
Indiquez-moi, s’il-vous-plaît, un jour de la semaine prochaine où je puisse venir vous dire bonjour vers 11h½ : nous n’avons guère eu le loisir de bavarder, mardi. (Sauf imprévu – dont je vous avertirais – tous les jours me sont bons, sauf mercredi.)
« Opéra » songe à me doter d’un poste de télévision ! En plus de dix autres raisons, celle-là contribuera à me compliquer la vie à l’hôtel . Vous ai-je déjà demandé de penser à nous si vous entendiez, d’aventure, parler d’un petit appartement libre ?…
Sur tout cela, une ombre tout de même. (Cela ne vous ennuie pas que je vous fasse ces confidences?) Ma femme, trouvant le temps bien long, et croyant les choses beaucoup plus simples qu’elles ne sont à bien des toutes lui expliquer, me semble-t-il). Et s’insurge contre ma prudence (qu’elle juge excessive) et mes réticences (qu’elle attribue à de l’indifférence). Et me boude (me laissant sans nouvelles depuis plusieurs semaines). Jean, ce n’est pas facile de tout concilier et, par surcroît, de ne pas faire mal à ceux qu’on aime. Dieu sait pourtant que j’essaie. Mais c’est là que je me sens très seul.
J’ai peur aussi, parfois, que le temps et l’espace aient mis entre elle et moi plus de distance que nous pensions l’un et l’autre. Comment savoir ? Et, sachant, comment faire en sorte que tout reste clair, net, sans cette misère qui s’attache trop souvent aux « drames du cœur » ? Y a-t-il en ces choses des compromis possibles ? J’aime ma femme et ma fille, j’aime Yvette. Je les aime sincèrement, profondément, et, je crois, honnêtement. Est-ce ma faute ? Et faudra-t-il nécessairement que cela tourne au drame pour l’un de nous, peut-être pour tous les quatre ?
Mais excusez ces inutiles épanchements…