Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Claude Elsen à Jean Paulhan, 1955 Elsen, Claude (1913-1975) 1955 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1955 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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mardi [1955] Mon cher Jean,

Je relis votre mot de samedi. Faut-il en déduire que les « mal intentionnés » sont revenus à la charge ? Sur quelles bases ? Avec quels textes ou arguments à l’appui ?Si tout ce qu’ « on » m’impute ou me reproche est de l’importance et de la gravité de l’écho sur Denis Marion que vous m’avez montré (et qui n’était même pas de moi…), « on » a vraiment bonne mine – et du temps à perdre.Chaque fois qu’on vous parlera, éventuellement, de textes de ce genre, demandez à les voir, montrez-les moi, je vous en prie, et je vous jure que je vous dirai ce qui en est. Encore une fois, je sais que je n’ai absolument rien à me reprocher dans l’ordre de la « dénonciation » (que je considère comme l’acte le plus vil qui soit, que ce soit sous l’occupation… ou depuis). Et, toujours à vous seul (car j’ai autant horreur de me prévaloir de ce genre de choses que d’assumer la responsabilité de saloperies que je n’ai jamais commises), je puis bien dire 1°) qu’en 41 j’ai été arrêté… 12 heures par la Feldgeheimpolizei pour n’avoir pas voulu dévoiler l’identité d’un rédacteur occasionnel et anonyme de Cassandre qui avait parlé insolemment de la Wehrmacht, 2°) qu’en 41 également je me suis dangereusement « mouillé » pour épargner la déportation à un ex-combattant des Brigades Internationales (je n’ai d’ailleurs pas réussi, je l’avoue humblement), 3°) qu’en 42 j’ai encouru de sérieux embêtements pour avoir « éreinté » des films allemands dans le Nouveau Journal , 4°) que pendant toute la guerre j’ai été en rapports personnels ou épistolaires avec de vrais résistants qui, bien qu’autrement « compromis » que des de Beer, de Beucken, Braun et autres Denis Marion, ne semblaient pas du tout craindre que je les « dénonçasse »…J’ai été, mon cher Jean, un fasciste et un « collaborateur » convaincus . Je ne vous l’ai jamais caché. Je ne le renie pas. Mais je prétends qu’il était fort possible d’être cela sans commettre aucune bassesse ou vilenie.J’avais, à Cassandre , le titre de rédacteur-en-chef. Je l’étais à peu près autant, en réalité, que Le Marchand peut l’être à la Table Ronde . En fait, j’assumais très exactement les fonctions de secrétaire de rédaction + celles de critique littéraire. Tout Belge tant soit peu informé (questionnez par exemple Robert Poulet) savait et sait que Paul Colin rédigeait lui-même la majeure partie du journal, et notamment toutes les rubriques non signées, échos, notes, etc. Je n’aime pas mettre ainsi un mort (assassiné) en cause, mais enfin la vérité est la vérité.Lorsque Paul Colin a été tué, en 43, lui a succédé à la rédaction de Cassandre son secrétaire et ami intime Paul Herten (fusillé en 44). J’étais très mal avec lui. En des temps plus normaux, j’aurais quitté le journal ou, au moins, renoncé au titre… purement et de plus en plus honorifique de rédacteur-en-chef. Mais la chose fût apparue 1°) comme un « dégonflage » à un moment où la défaite allemande apparaissait inévittable, 2°) comme un reniement de la mémoire de Paul Colin. Cela me dégoûtait davantage encore que d’assumer, aux yeux de certains « mal intentionnés », la responsabilité de ce journal. Nous avons tous nos côtés donquichottesques, n’est-ce pas ?(Il m’est revenu tout récemment que Jean Cassou, notamment, « nous » en veut d’avoir été arrêté, battu par les policiers allemands, et d’avoir frôlé la mort. En veux-je aux résistants et aux épurateurs d’avoir été arrêté et emprisonné en 45, battu par les policiers américains, et d’avoir dû au seul hasard de ne pas être fusillé ? Va-t-on pendant 112 ans se haïr pour ces choses ? J’ai eu, moi aussi, des amis torturés, tués, traqués, après 44, qui étaient des garçons magnifiques et parfaitement purs . Je n’en tiens pas rigueur à M. Cassou.)Je pense, j’espère que tout ceci vous satisfait. Votre jugement seul m’importe, dans tout cela. Je ne voudrais pas vous mettre dans des positions délicates. Si ma collaboration à la nrf [Nouvelle Revue Française ] risquait de le faire, dites-le moi – je céderais volontiers la place aux « irréductibles », par souci de votre tranquillité et parce qu’il m’importe surtout d’être et de rester

votre amiClaude