Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre d'André Malraux à Jean Paulhan, 1928 Malraux, André (1901-1976) 1928 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1928 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Jeudi [1928] Mon cher ami,

Revenons à « Un défaut de la pensée critique », mais entendons-nous d’abord : ce dont je vous parlais, ce dont je veux vous parler n’est pas une critique, c’est une réflexion. J'entends bien que votre désir est de conclure, - entre autres conclusions – par : « il n’y a pas de rhétorique », ou plutôt : « La rhétorique n’est pas ce que vous pensez ». Mais lorsque, à travers une série d’exemples, vous montrez la critique amenée à tenir pour rhétorique la littérature tout entière, chaque critique attaquant un siècle, il me semble que les rapports entre l’oeuvre, telle qu’elle est pour celui qui la crée et l’oeuvre telle qu’elle est pour celui qui la juge ne sont pas seuls en cause (Je dis : l’oeuvre, entendez aussi bien, en l’occurrence, l’expression.) La manière dont les choses sont dites peut assez bien se traduire par : l’intensité avec laquelle les choses sont dites, et l’accusation de rhétorique est en somme l’accusation de la valeur de cette intensité, la protestation contre son excès.

Mais l’écrivain accusé n’exprimait pas, me semble-t-il, un sentiment, il exprimait une différence, il exprimait ce par quoi un sentiment déjà exprimé par d’autres était vivant en lui et par lui. Et je ne dis pas que vous refusiez cette idée de différence, mais (c’était le sujet de notre première conversation sur ce sujet) que, si vous l’acceptez, les conséquences en sont infiniment plus étendues que celles d’un critique du langage, que celle d’une critique de la critique. Car l’humanité ne pense que sur des différences.

A quoi vus répondez sans doute que je tends à parler de ce que vous avez pensé ou écrit (la Sémantique

ou les Fleurs

) beaucoup plus qu’à ce que vous avez publié dans « Commerce ». C'est certain : ce qui prouve que les écrivains devraient être muets, car si nous n’avions pas parlé de cet article vous ne m’auriez pas parlé de la tendance etc...

A propos du rythme le passage auquel je pensais commence page 38. Je ne doute pas de la valeur de vos arguments, ni même de votre droit de les grouper ainsi, mais je souhaiterais pourtant une distinction entre un état d’esprit qui tend à créer un chef-d’oeuvre comme témoignage de la valeur humaine de son auteur, et un autre qui tend à le créer comme témoignage de valeur sur-humaine (si je puis dire). Mais ici vingt pages ne suffiraient pas. Nous en causerons, si vous voulez ?

Mes hommages à Madame Pascale, je vous prie. A bientôt, et bien amicalement à vous

AM

J'ai vu le projet de publicité des « Conquérants » apporté à la N.R.F. C'est l’un de ceux que j’avais écrits sous la dictée de Peyronnet, et auxquels j’avais ajouté : à écarter (!) La question est-elle résolue, ou Peyronnet insiste-t-il ? (D'ailleurs, s’il insiste, n’hésitez pas à l’envoyer au diable.)