Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre d'André Malraux à Jean Paulhan, 1928 Malraux, André (1901-1976) 1928 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1928 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Lundi [1928] Mon cher ami,

Je rentre de Belgique, et c’est pourquoi je ne vous ai pas écrit plus tôt ) car je pensais bien que vous désiriez être tenu au courant de ce qui s’est passé à propos d’Arland. Malheureusement, je ne suis guère renseigné : on me dit que c’est Guilloux surtout qui a été opposé à Arland, ce qui me surprend. Chamson a fait très activement campagne pour lui, et les arguments qui, lors de la discussion, ont emporté la décision du jury n’ont nullement été d’ordre littéraire. Mais ce sont là des renseignements auxquels il est impossible de faire porter le moindre contrôle, bien entendu. Ils sont vraisemblables : la situation de Guilloux est, je crois, très grave.

La lettre que m’a envoyée Max [Clariss?] est d’ordre pratique et complimenteur, strictement. Je vous renvoie celle qu’il vous a adressée, et que vous avez été assez gentil pour me communiquer – Naturellement, j’ai accepté : quant à ma position politique, il me semble qu’en lui disant que j’ai été commissaire du Kuomintang pour la Cochinchine au début de 1928 et pour l’Indochine en Juin, puis membre du comité central du Kuomintang, il sera content ? D'autre part, je n’ai, comme vous le savez, aucune position politique (comme dit le Dr Max [Clause?]) en Europe.

J'ai reçu la visite de la jeune fille que vous m’avez adressée. Elle veut aller dans des pays. Comme je lui donnais des tuyaux graves, elle m’a dit : « Maintenant, soyons sérieux. Ne pourriez-fvous pas me trouver une place de demoiselle de compagnie auprès du Grand Lama ? » A quoi nous avons répondu que rien n’était plus facile, et que nous avions formé le projet de nous rendre à Lhassa, notre épouse légitime et nous, elle déguisée en ours velu, et nous en conducteur d’icelui. Ah ! Grande désillusion : les poissons sur lesquels vous comptez sont pauvrets et de peu de valeur : deux francs chacun, dit la jeune fille, qui s’y connaît. Nous avons pensé encore à chasser les papillons, animaux précieux dont les gens avisés peuvent tirer des sommes, à condition des les attendre en dormant dans des petites cabanes suspendues avec grâce à des arbres. Mais il paraît qu’on les abîme en les capturant, ou qu’on se trompe en les classant ; sinon, on les vendrait quelque cent mille francs l’un. Je livre cette industrie à vos rêveries et à celles de Madame Pascal dont l’obligeance a si souvent un quart d’heure à prêter à mes imaginations. Rappelez-moi, je vous prie, à son bon souvenir, et croyez-moi votre ami.

A.M