Cher Jean
Gentiment vous m’avez demander [sic] de vous envoyer ces confessions (c’est trop dire) ces [?] (peut-être) – quel mot ! Enfin les voici et ils sont pour vous et Germaine seuls.
Sincèrement à vous (sincerly yours, comme signe toujours Wallace Stevens)
Barbara
Le 3 septembre 1953 Pitié J'ai pitié de tout De moi d’abord La souffrance est notre lot Bien sure. Mais je ne suis pas patiente Du tout. Je suis paresseuse Avide de vivre Je suis pleine d’énergie Aux heures de bonheur Je cours aux autres D'un grand élan Puis je retombe Ils sont pauvres Ne donnent rien Ils sont malades Et je hais les tares Les cicatrices Que chacun porte. La perfection non plus N'est mon désir - Je suis troublée - J'ai pitié.
Vous m’avez demandé un jour si j’avais assez lu Heine et Brecht, évidemment je l’ai fait, en ce moment je lis beaucoup Goethe ) je suis assez adulte – comme pour lire la Bible, Shakespeare, Montaigne ) Harry disait qu’il fallait avoir 60 ans pour être digne.
19 septembre 1953 Lieu commun Pas si commun - - Un jour, un homme, une femme Exprime sans ambages Une vérité, dite première. Elle sort, toute nue, Elle tombe si triste que personne ne doute Et tout le monde répète, Etonné, ravi. A la naissance C'est merveilleux Plein de promesses C'est beau Ça s’applique comme le gant aux difficultés. – Puis le quotidien La re-pe-ti-tion Font un lieu commun Qui bannit la pensée, La parole n’a plus son sens La phrase est du perroquet - Pardon, mon bel oiseau - Il reste à peine le son. Et la morale : Parles – mon bon homme Peut-être un beau jour Tu feras à ton tour Un merveilleux Lieu commun. 31 Août 1953 Regrets Il fait si beau Le matin, Je sors de la nuit « Je vous salue, Soleil » Je suis heureuse , - - Je souffre - L'été est à sa fin. Le temps s’use S'effiloche Chaque jour. On n’oublie pas. Le corps fragile Toujours en éveil Vite met le frein. L'esprit, le saint esprit Est chose divine, Le corps est Terre Et lourd et triste comme elle. L'esprit lui est la flamme Comme le soleil Qui fait briller la Terre La chair répond s’élève, rit, touche la cime - L'extase est brève – intense - J'ai des regrets. 30 Août 1953 La visiteuse Je suis une visiteuse, dis-tu Et tu ajoutes : C'est drôle - Et tu oublies ma préférence De l’être justement. Les chaînes que nous portons, Les mêmes visages toujours, Les mêmes mots Aux mêmes sons Tout un brouillard épais Autour de moi. Je veux penser, rêver Dans toutes les langues. Les hommes sont mes semblables Qu'en apparence Et je ne préfère pas La solitude. L'âme soeur, une platitude, La chose absurde, Le mépris, l’ironie s’en empare Je la cherche Cependant. Le voisin laisse tomber le masque Parfois Un éclair – un contact se fait pour un instant. Je deviens légère, Je vois, je sens Un apaisement tout proche - Voici le prix qui récompense Aussi la rançon Que paie La visiteuse.