Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Barbara Church à Jean Paulhan (6 décembre 1954) Church, Barbara (1879-1960) 1954-12-06 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1954-12-06 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)<br />
PLH_120_020699_1954_06
Français
Le 6 décembre 1954 Lundi

Cher Jean

Nous sommes ici sous le signe de Christmas – inutile d’essayer d’y échapper. Même Marianne Moore succombe – elle a écrit un Christmas poem pour Vogue (Vogue américain). Je vous en ferai envoyer le numéro. Le poème est joli est tendre, léger, elle se met à la portée avec grâce et art.

Samedi matin trois lettres importantes pour moi, de vous, de Marianne Moore, de Wallace Stevens, les écrivains, les poètes aiment écrire des lettres surtout s’ils sont timides en face de l’adversaire.

Vous me parlez de Port Cros – j’en ai la nostalgie, on y était heureux, tous avec Germaine s’affairant pour ses hôtes, avec vous l’organisateur des jeux, des promenades dangereuses, des conversations avec Marie, son mari, l’âne, le chien – je n’oublie pas le petit singe méchant. On y dormait si bien, le réveil était délicieux et j’aimais m’assoir sur le haut-banc, les pins verts, la mer bleue – le ciel par-dessus, très haut ne se décidant jamais avant le soir à montrer ses couleurs.

Nous en parlions souvent, Harry et moi – Ce midi là était bien à notre goût.

Maintenant je suis seule avec mes souvenirs et Germaine est malade « que des peines, que des difficultés ». Le séjour au pays du soleil, même s’il y pleut, vous a fait du bien, vous a reposé, je l’espère.

Et envoyez moi « Douleurs imaginaires » même si c’est une épreuve ou le manuscrit, je promets de le renvoyer. Je suis contente de savoir que vous travaillez pour vous même aussi, c’est une mystérieuse et bienfaisante évasion – on pense à ce qu’on fait intensément et puis après la fatigue est encore une intime satisfaction.

Wallace Stevans m’a écrit une jolie lettre sur le même sujet, il est plongé en ce moment dans la prose de Paul Valéry – il veut écrire quelque chose sur lui. Très consciencieux, il veut le connaître à fond avant, réfléchir après, puis écrire – il est perfectionniste comme vous, plus rigide cependant, plus timide.

J'ai rencontré Paul Valéry dans des réceptions, je l’ai vu souvent chez Natacha [? Blueler], qu’il admirait sans réserves et au fond je l’ai vu jeune chez Viele-Griffin. Mais je ne peux pas dire que je sais plus de lui que ces contacts, si c’en étaient, et ce qu’il a écrit.

J'avais l’impression que moi, je ne l’intéressait pas, je m’en contentais. L'avez-vous connu – bien ? Il y a des gens difficiles à connaître, peut-être il ne faut pas faire effort dans ce sens. Il faut la spontanéité des deux côtés.

Oui j’ai retrouvé ma famille, mes amis empressés autour de moi, gentils comme tou. J'ai eu ma réception le 18 novembre, cocktail et souper, une cinquantaine, c’était gai, stimulant, je me suis amusée et les autres font comme moi. Chaque semaine je donne un petit dîner de 8 – un bon nombre je trouve – Suzanne fait un dîner impeccable, je m’occupe des vins, je change chaque fois les convives et je les mélange. J'aime bien ces réunions, j’écoute, je parle en 3 langues souvent. C'est reposant. Avec Harry on le faisait, jamais on ne cherchait ses mots – dans une des trois le mot voulu sortait.

Chaque vendredi, je vais à l’Opéra, quelques fois les plus vieux, les plus italiens des Opéras m’apaisent le plus, les chanteurs sont parfaits, l’Orchestre aussi et la claque gagne bien son salaire – le comble de l’artifice, du clinquant se justifie, les répétitions aussi.

Avez-vous été à la messe basse pour Cingria ? J'aurais bien voulu y être.

Des théâtre il y a multitude – j’y vais quand je trouve des places- très difficiles pour les pièces à succès, on paie des prix astronomiques. Et on joue des pièces amusantes, tristes – les acteurs sont en vedette, on semble s’occuper bien moins des auteurs, dont les noms sont en tout petits caractères. Les pièces, 3 je crois, de Pagnol sont devenues une Opérette (Farmy), un succès fou. Je vais aux expositions, aux conférences, au Cinéma, enfin je remplis mes journées, mes nuits, je ne suis pas seule malgré ma solitude.

Et physiquement je vais bien surtout depuis qu’il fait froid – froid et beau, c’est bon pour moi.

Je viens de vous faire envoyer les oeuvres complètes de Wallace Stevens (lisez le poème « The Owl in the Sarcophages dans The Aurora of Autumn p. 437 il l’a fait à la mort de Harry, n’a pas osé le désigner sans me demander, n’osant pas me demander au moment) aussi la Vague avec le poème de M. Moore.

N'ayez pas trop de cafard, nos amis ont du chagrin, de ne pouvoir rien faire que cela. Très affectueusement – parlez à Germaine de mon amitié pour elle, je vous embrasse

Barbara.

J'ai fait réserver mes places sur l’Ile de France le 4 Juin 1955. Je serai à V.d.A vers le 10. Mon retour ici sur la Liberté est le 30 septembre.