Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Jean Paulhan à Barbara Church (6 mars 1952) Paulhan, Jean (1884-1968) 1952-03-06 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1952-03-06 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)<br />
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Français
le 6 mars 1952

[rep. 3-20-52]

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Bien chère Barbara

J'ai souvent songé à vous en Guinée, mais le moyen de vous l’écrire ? Tout le jour, nous étions en voyage, Pilotaz et moi ; et plus tard sur un cargo trop agité, où d’aller seulement prendre le repas posait des problèmes. Savez-vous que sous les Tropiques on ne voit jamais le soleil (et le caméléon que j’ai rapporté est tout étonné de cette boule, et devient nostalgique). Mais rien qu’un ciel brumeux, gris, pétillant de brumes. A côté de la Guinée, Madagascar me semble brusquement très oriental, à demi-malais, à demi-chinois. Nous avons voyagé chez les Foulas entre Egyptiens et Ethiopiens, à qui l’on a laissé leurs villages d’esclaves (longs, dédaigneux, un peu sombres) puis chez les malinkés de la forêt à qui l’on a laissé leurs sacrifices humains (Rassurez-vous, ils ne sacrifient jamais que des enfants, en général des petites filles, et ne les mangent pas en entier : seulement le foie et le cœur.) Et bien, je ne me fatiguais pas de voir des singes (surtout des cynocéphales, peu sympathiques) – et des rats palmis-

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tes (c’est une sorte d’écureuil, à poils de porc-épic). Je ne me fatiguais pas de voir des noirs (les jeunes filles surtout, très merveilleuses) très honteux de ne pas leur rendre ce plaisir : si seulement j’avais trois jambes, ou un œil au milieu du front !

N'y pensons plus. De retour à Paris (par un très lent voyage en cargo, qui m’a laissé voir Dakar, Casablanca, Oran, Alger) j’ai été accueilli par une petite montagne d’injures. C'est que j’ai écrit une petite « lettre aux directeurs de la Résistance » où je me plains – trop violemment, me dit-on – que la Résistance en devenant politique ait laissé corrompre sa première pureté, sa mystique. L'Epuration a été, et continue à être, d’une injustice immonde. Voilà qui n’a pas été du goût de tous les gens. Mais me voici rentré, et je me défendrai.

J'ai eu des lecteurs de qualité : M. Vincent Auriol m’a écrit une lettre de quatre pages (il n’est pas de mon avis) ; mais le Pape m’a fait savoir que j’avais raison et que je n’avais qu’à continuer. Dois-je vous envoyer la petite plaquette ? Plutôt, je vous la

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donnerai, quand vous serez de retour. Il ne faut pas envoyer aux Etat-Unis les livres où l’on dit du mal de la France. Mais je crois que cous serez de mon avis. Et à bientôt Barbara. Tout deux, nous embrassons bien fort

jean

Cette fois, le colis d’artane n’est pas arrivé, j’ai grand peur qu’il ne se soit égaré.

J 'ai été bien content des prix de Marianne Moore.

Il est fortement question de reprendre en Juin la nrf. (Mais n’en parlez à personne, c’est un secret.)

Moi aussi, bien sûr je vous trouve très courageuse. Et je vous embrasse

J

Il fait tiède, une sorte de printemps très rapide, un peu inquiétant.

[6 mars 1952 - 3\3]