[rep. 3-8-53]
1.
La nrf a bien dû vous arriver ; On m’avait interrogé, j’avais dit : « si elle reparaît, on s’en apercevra après vingt ans ». Vraiment je n’ai pas le sens des choses, pas du tout. Il y a eu grand vacarme. Nous avons été de tous côtés ou engueulés. Mauriac en a fait étrangement une affaire personnelle. Dans la dernière Table ronde il s’en prend jusqu’à Gaston G. qu’il traite de perfide requin ; Moi, je suis le poisson-pilote qui avertit le requin des dangers. Quant à Arland, c’est un malheureux matelot passé à l’ancienneté quartier-maître. Et la nrf, une vieille dame, tondue à la libération, dont les cheveux ont mis huit ans à repousser. Le tout, affreusement sordide. Que répondre ? Rien.
(Ce n’est pas que Mauriac soit telle
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ment marin que ça. C'est simplement qu’il vient de lire Le vieil homme et la mer. Hemingway fait en ce moment grand bruit de nos côtés.)
Chère Barbara, évidemment, vous n’y pouvez pas grand chose. Mais si vous étiez ici, on se sentirait un peu protégé. Enfin on aime vous avoir près de nous.
Je voudrais bien pouvoir donner bientôt des traductions de Marianne Moore (il me semble qu’Edith Boissonnas s’en tirerait très bien) et de Wallace Stevens (lui, il me semble, bien plus difficile à traduire.) Mais je vous en reparlerai. Henry Miller est ici : il a pris quelque chose de très chauve et d’infortuné qui est assez émouvant. Qu'est devenue Anaïs Nin ? Evanouie.
Les nouvelles
3.
Artanes sont bien arrivées. Grand merci ! Il me semble que leur bienfait persiste. Mais la grippe, qui nous a tous plus ou moins frappés a donné à Germaine une grande faiblesse, dont elle ne se remet que lentement. Une infirmière vient à présent passer avec elle la moitié des journées. Elle, s’applique à tenir bon, ne cède pas à la maladie, refuse de rester couchée quand elle en aurait tant envie. Il m’arrive d’être bouleversé aux larme de son courage.
(moi, je souffre toujours de la même sciatique ridicule, à quoi s’ajoutent les rayons X qui en principe devraient la guérir. Il arrive que la sciatique m’oublie un peu. Mais les rayons eux, ne m’oublient pas du tout. Il me donnent leur douleur particulière, qui est très reconnaissable. Tout cela passera.)
4.
A part ça, nous avons une exposition splendide du Cubisme. (Mais vous arriverez à temps pour la voir.) On joue aussi une pièce assez saisissante d’un ami de Joyce, Beckett. Je travaille à achever ma « Peinture moderne ». Je vais voir Braque de temps en temps : le Louvre lui a commandé un plafond. Il fera quelque chose d’assez extraordinaire. Si vous voulez bien, nous irons un jour le voir travailler sur place. Bonsoir, Barbara. Nous songeons à vous avec grande et forte affection.
Fred et Jacqueline vous envoient leurs vives amitiés. Leur fils (Jean) est très extraordinaire. On peut le laisser seul des jours entiers sans qu’il proteste. C'est seulement quand ses parents rentrent qu’il leur fait des reproches et se met à hurler.