LE
PETIT MAÎTRE
CORRIGE
PETIT
ACTEURS.
LE COMTE, Pere d’Hortense,
LA MARQUISE.
HORTENSE, fille du Comte.
ROSIMOND, fils de la Marguise.
DORIMENE.
DORANTE, Ami de Rosimond.
MART ON, Suivante d’Hortense.
F R O N TI N, Valet de Rosimond,
La Scène est à la Campagne, dans la Maison du Comte.
HORTENSE, MARTON.
Marton
Eh bien, Madame, quand sortirez-vous de la rêverie où vous êtes? vous m’avez appelle, me voilà, & vous ne me dites mot.
HORTENSE.
J'ai l’clprit inquiet.
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M A R T O N.
De quoi s’agit-il donc ?
HORTENSE.
Nai-je pas de quoi rêver ; on va me. rier, Marron.
MARTON.
Et vraiment je le lài bien, on n’atttend plus que votre oncle pour terminer ce maria, gc; d’ailleurs, Rofimond votre futur, n’cft arrivé que d’hier, il faut vous donner patience.
HORTENSE.
Patience, cft-cc que tu me crois pressée ?
M ARTON.
Pourquoi non ? on l’eft ordinairement À votre place ; le mariage eft une nouveauté curicuic, & la curiofité n'aime pas à attendre
HORTENSE.
Je différerai tanr qu’on voudra.
M A R T O N.
Ah! hcurcufcmcnt ou’on veut expédier,
HORTENSE.
Eh.' Iaiffc-là tes idées.
MA R TON.
Eft-cc que Rofimond n’cft pas de Votre goût ?
HORTENSE.
C’cft de lui dont je veux te parler. Mar-ton , tu es fille d’dpnt, comment le trouve-tu?
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MARTON.
Mais il eft d’une jolie figure.
HORTENSE.
Cela eft vrai.
MARTON.
Sa phifionomic eft aimable.
HORTENSE.
Tu asraifon.
MAR TON.
Il me paroit avoir de l’elprit.
HORTENSE.
Je lui en crois beaucoup.
M ARTON.
Dans le fond, même, on lui fent un caractère d’honnête-homme.
HORTENSE.
Je lepenfe comme toi.
M ARTON.
Et, à vûë du pays, tout fon défaut c’cft d’étre ridicule.
HORTENSE.
Et c’eft ce qui me défefpere, car cela gâte tout. Je lui trouve de fi fottes façons avec moi, on diroit qu’il dédaigne de me plaire, Si qu’il croit qu’il ne ferait pas du bon air de le foucier de moi parce qu’il m’epoufe.
MARTON.
Ah, Madame, vous en parlez bien à votre aife.
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HORT EN SE.
Que veux-tu dire ’ Eft-cc que la raifoïïmj. me n’exige pas un autre procédé que le fien.
M A R T O N.
Eh oui, la raifon : mais c’eft que parmi les jeunes gens du bel air, il n’y a rien de fi bourgeois qu ed ’etre railbnnable.
HORTENSE.
Peut-ctre , aufii, ne fuis-je pas de fon goût.
M A R T O N.
Je ne fuis pas de ce fentiment-là , ni vous non plus •> non, tel que vous le voyez il vous aime ; ne l’ai je pas fait rougir hier, moi, parce que je le furpris comme il vous regar-doit à la dérobée attentivement ; voilà déjà deux ou trois fois que je le prens fur le fait.
HORTENSE.
Je voudrois être bien sure de ce que tu me dis là.
M A R T O N.
Oh, je m’y connois: cet homme-là vous aime, vous dis-je, & i! n’a garde de s’en vanter, parce que vous n’allez être que fa femme ; mais je iôutiens qu’il étouffe Ce qu’il lent, & que son air de Petit Maître n’eft qu’une gasconnade avec vous.
HORTENSE.
Eh bien, je t’avouerai que cette pensée m’eft venue comme à toi.
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M ART ON.
Eh par hazard , n’auriez-vous pas eu la penfée que vous l’aimez aussi ?
HORTENSE.
Moi, Marton ’
M A RT ON.
Oui,c’eft qu’elle m’eft encore venue-, voyez.
HORTENSE.
Franchement c’eft grand dommage que fes façons nulfent au mérite qu’il auroit.
MARTON.
Si on pouvoir le corriger.
HORTENSE.
Et c’eft à quoi je voudrois tâcher -, car, s’il rri’aime , il faudra bien qu’il me le dife b.en franchement, & qu’il fe défafle d’une extravagance dont je pourrois être la victime quand nous ferons mariés, fans quoi je ne l’épouferài point-, commençons par nous af-furer qu’il n’aime point ailleurs, fie que je lui plais -, car s’il m’aime , j’aurai beau jeu contre lui, & je le tiens pour à moitié corrigé ; la peur de me perdre fera le refte. Jq t’ouvre mon cœur, il me fera cher s’il devient raifon-nable ; je n’ai pas trop le temps de réuflir , mais il en arrivera ce qui pourra -, effayons , j’ai befoin de toi , tu es adroite , interroge fon Valet, qui meparoît afiez familier avec fon Maître.
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M A R T O N.
C’est à quoi je lôngcois : mais il y a Un{ petite difficulté à cette commiflîon-là ; c’cft que le Maître a gâté le Valet, & Frontincft le Singe de Rolimond; ce faquin croit appa, remment m’epoufer auflî, ôc fe donne, à eau. fc de cela, les airs d’en agir cavalièrement, & de foupirer tout bas, car de fon côte il m’aime.
H O R T E N S E.
Mais il te parle quelque fois.
M A R T O N.
Oui, comme à une soubrette de campagne : mais n’importe, le voici qui vient à nous , laificz-nous enlêmblc, je travaillerai à le faire caufer.
H O R TE N S E.
Sur-tout conduis-toi fi adroitement, qu’il ne puifTc loupçonner nos intentions.
M A R T O N.
Ne craignez rien, ce fera tout en caufànt que je m’y prendrai; il m’inftruira fans qu’il le sache.
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SCENE II.
HORTENSE, MARTON, F R ON T IN.
Hortense s'en va , Frontin l’arrête.
FRONTIN.
Mon Maître m’envoyc savoir comment vous vous portez , Madame, & s’il peut ce matin avoir l’honneur de vous voir bientôt ?
MARTON.
Qu’eft ce que c’eft que bientôt ?
FRONTIN.
Comme qui diroit dans une heure ; il n’cft pas habillé.
HORTENSE.
Tu lui diras que je n’en sai rien.
FRONTIN.
Que vous n’en favez rien , Madame ?
MARTON.
Non , Madame a raison, qui eft-ce qui lait ce qui peut arriver dans l’intcrvalc d’une heure ?
FRONTIN.
Mais, Madame , j’ai peur qu’il ne comprenne rien à ce discours.
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HORTENSE
Il eft pourtant très-clair ; je te dis n’en fai rien.
SCENE III
MARTON, FRONTIN
F R O N T 1 N.
MA belle enfant, expliguez-moi la réponïe de vôtre Maîtresse, elle eft d’un goût nouveau.
MARTON.
Toute simple.
F R O N TI N.
Elle eft même fàntafque.
M A R T ON.
Toute unie.
F R O N T I N.
Mais à propos de fantaifie, savez-vous bien que votre minois en eft une, & des plus piquantes ?
M A R T O N.
Oh, il eft très-commun, aussi-bien que la réponfe de ma Maîtresse.
F R O N T I N.
Point du tout, point du tout. Avez-vous des amans ?
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MARTON.
Hé. . . on a toujours quelque petite fleurette en paflant.
F R O N T I N.
Elle eft d’une ingénuité charmante; écoutez , nos Maîtres vont fe marier; vous allez venir à Paris, je luis d’avis de vous époufer auflï., qu’en dites-vous ?
M A R T O N
Je ne fuis pas allez aimable pour vous.
F R O N T I N.
Pas mal, pas mal „ je fuis alfez content.
MARTON.
Je crains le nombre de vos Maîtrefles^ ca-r ie vais gager que vous en avez autant que votre Maître qui doit en avoir beaucoup ;• nous avons entendu dire que c’étoitun homme fort couru , &c vous aufli sans doute ?
F R O N T I N.
Oh, très-courus; c’eft à qui nous attrapera tous deux, il a penfè même m’en venir quelqu’une des lïennes, Les conditions le confondent un peu à Paris , on n’y eft pas fcrùpuleux liir les rangs.
MARTON.
Et votre Maître & vous, continuerez-vous d’avoir des Maîtrefles quand vous ferez nos maris ?
F R O N T I N.
Tenez, il eft bon de vous mettre là-dessus
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au fait. Ecoutez, il n’en est pas de Paris comme de la Province, les coutumes y sont differentes.
MARTON.
Ah, différentes ?
F R O N T I N.
Oui, en Province , par exemple, un mari promet fidelité à fa femme, n'eft-ce pas ?
MARTON.
Sans doute.
F R O N T I N.
A Paris c’eft de même , mais la fidelité de Paris n’cft point sauvage , c’eft une fidélité galante, badine, qui entend raillerie, &qui fe permet toutes les petites commodités du lavoir vivre ; vous comprenez bien ?
M A R T O N.
Oh, de refte.
FR O NT IN.
Je trouve fur mon chemin une perlbnne aimable ; je fuis poli, elle me goûte; je lui dis des douceurs, elle m’en rend; je folâtre, elle le veut bien ; pratique de politelle , commodité de lavoir vivre ; pure amourette que tout cela dans le mari ; la fidélité conjugale n’y eft point offenlee ; celle de Province n’eft pas de même , elle eft lotte , revêche , SC tout d’une pièce, n’eft-il pas vrai ?
MARTON.
Oh oui, mais ma Maîtreffe fixera peut-
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être votre Maître, car il me lèmblc qu’il l’aimera allez volontiers , fi je ne me trompe
F R O N T I N.
Vous avez raifon, je lui trouve effective-» ment comme une vapeur d’amour pour elle.
MARTON.
Croyez-vous ?
FRONTIN,
Il y a dans Ion cœur un étonnement quj pourrait devenir tres-férieux ; au furplus, ne vous inquiétez pas, dans les amourettes on n’aime qu’en pallant , par curiofité de goût, pour voir un peu comment cela fera ; de ces inclinations-la , on en peut fort bien avoir une demie-douzaine fans que le cœur en loit plus chargé, tant elles fontlegeres.
MARTON.
Une demie-douzaine , cela eft pourtant fort, & pas une sérieuse....
FRONTIN.
Bon , quelque fois tout cela eft expédié dans la femaine ; à Paris , ma chcre enfant, les cœurs, on ne fe les donne pas, on fe les prête, on ne fait que des essais.
MARTON.
Quoi , là-bas , votre Maître & vous, vous n’avez encore donné votre cœur à personne ?
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FRONTIN.
A qui que ce soit; on nous aime beaucoup, mais nous n’aimons point : c’est notre usage.
MARTON.
J’ai peur que ma Maîtrertc ne prenne cette Coutume-là de travers.
FRONTIN.
Oh que non, les agrémens l’y accoutume, tout ; les amourettes en partant sont amusantes ; mon Maître passera , votre Maîtrefle de même, je passerai, vous passerez , nous passerons tous.
MARTON en riant.
Ah , ah, ah , j’entre fi bien dans cc que vous dites, que mon cœur a déjà passé avec vous.
FRONTIN.
Comment donc ?
MA RTO N.
Doucement, voilà la Marquilc, la mère de Rosimond qui vient.
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SCENE IV.
LA MARQUISE,FRONTIN, MARTON.
LA MARQUISE.
JE fuis charmée de vous trouver-là, Marton , je vous cherchois , que dificz vous à Frontin ? Parliez vous de mon fils ?
MARTON.
Oui, Madame.
L A M A R QU I S E.
Eh bien, que penfe de lui Hortense ? Nc lui déplaît-il point ? Je vouloisvous demander fes fentimeps , ditcs-lçs moi, vous les lavez fans doute, fie vous me les apprendrez plus librement qu’elle , fa poTitelic me les cachcroit} peut-être, s’ils n’etoient pas favorables.
MARTON.
C’eft à peu près dequoi nous nous entretenions , lrontin & moi , Madame ; nous difions que Monficur votre fils cft trcs-aima-blc , & ma Maître rtc le voit tel qu’il cft ’ niais je demandois s’il l’aimeroit.
L A M A R QUIS E.
Quand on est faite comme Hortense, je
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Crois que cela n’est pas douteux, & ce n’est pas de lui dont je m’embarrasse.
FRONTIN.
C’eft ce que je répondois.
MARTON.
Oui, vous m’avez parle d'une vapeur tendrelfe, qu’il lur a pris pour elle; mais une vapeur fe dissipe.
LA MARQUISE.
Que veut dire une vapeur?
MARTON-
Frontin vient de me l’expliquer, Madame, c’eft comme un étonnement de cœur, & un étonnement ne dure pas; sans compter que les commodités de la fidelité conjugale, sont un grand article.
LA MARQUISE.
Qu’eft-ce que c’eft donc, que ce langage-Jà, Marton ? Je veux lavoir ce que cela lignifie. D’après qui répétez-vous tant d’extravagances? car vous n’êtespar folle, &c vous ne les imaginez pas fur le champ.
MARTON.
Non , Madame , il n’y a qu’un moment que je fai ce que je ‘ vous dis-là , c’eft une inftruiftion que vient de me donner Frontin fiir le cœur de fon Maître, & fur l’agréable économie des mariages de Paris.
LA MARQUISE,
Cet impertinent ?
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FRONTIN.
Ma foi, Madame , si j’ai tort c’eft la faute du beau monde que j’ai copié ; j’ai rapporté la mode , je lui ai donné l’état des choses & le plan de la vie ordinaire.
L A M A R Q.U I S E.
Vous êtes un sot, taisez-vous ; vous pensez bien, Marton, que mon fils n’a nulle part à de pareilles extravagances ; il a de l’eiprit , il a des mœurs, il aimera Hortense, & connoîtra ce qu’elle vaut ; pour toi, je te recommanderai à ton Maître, & lui dirai qu’il te corrige. ( elle s’en va. )
SCENE V.
MARTON, FRONTIN.
MARTON éclatant de rire.
HA, ha, ha , ha.
FRONTIN.
Ha, ha, ha ha.
MARTON.
Ha. Mon ingénuité te charme-t-elle encore ?
FRONTIN.
Non , mon admiration s’étoit méprise,
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c’eft ta malice qui eft admirable.
MARTON.
Ha, ha , pas mal , pas mal.
FRONTIN lui présente la main.
Allons, touche-là, Marton.
MARTON.
Pourquoi donc ? ce n’eft pas la peine.
FRONTIN..
Touche là, te dis je, c’eft de bon cœur.
MARTON lui donnant la main.
Eh bien , que veux-tu dire ?
FRONTIN.
Marton, ma foi tu as raison, j’ai fait l’impertinent tout à l’heure.
MARTON.
Le vrai faquin.
FRONTIN.
Le sot, le fat.
MARTON.
Oh ! mais tu tombes a present dans un excès de raifon, tu vas me réduire à te louer.
FRONTIN. *
J’en veux à ton cœur, & non pas à tes éloges.
MARTON.
Tues encore trop convalefcent, j’ai peur des rechutes.
FRONTIN.
Il faut pourtant que tu m’aimes.
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MARTON.
Doucement; vous redevenez fat.
FRONTIN.
Paix, voici mon original qui arrive.
SCENE VI.
ROSIMOND, FRONTIN, MARTON.
ROSIMOND à Frontin.
AH , tu es ici toi, & avec Marton? je ne te plains pas : Que te diloit-il, Mar-ton? Il te parloit d’amour , je gage ; hé ! n’eft-ce pas ? Souvent ces quoquins-là fonc plus heureux que d’honnêtes gens. Je n’ai rien vu de fi joli que vous , Marton , il n’y a point de femme à la Cour qui ne s’accommodât de cette figure-là.
FRONTIN.
Je m’en accommoderois encore mieux qu’elle.
ROSIMOND.
Dis-moi, Marton, que fait-on dans ce pays-ci? Y a-t-il du jeu ? de la chaffe ? des amours ? Ah , le fot pays, ce me femble. A propos, ce bon homme qu’on attend de faTenepour finir notre mariage , cet oncle
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arrive-t-il bientôt ? Que ne fe passe-t-on de lui ? Ne peut-on fê marier fans que ce p,e rent ailifte à la cérémonie ?
MAR TON.
Que voulez-vous ? ces Meilleurs là, sous prétexté qu’on eft leur nièce & leur héritière , s’imaginent qu’on doit faire quelqu'attention à eux. Mais je ne songe pas que ma Maîtrefle m’attend.
RO S I M O N D.
Tu t’en vas , Marron ? Tu es bien pref-{èe. A propos de ta Maîtrefle, tune m’en parles pas -, j’avois dit à Frontin de demander lî on pouvoir la voir.
FRONT IN.
Je l’ai vue auffi, Monfieur, Marron croît prefènte , & j’allois vous rendre réponse.
M A R T O N.
Et moi je vais la rejoindre.
R O S IM O N D.
Attends, Marton , j’aime à te voir ; tu es la fille du monde la plus amusante.
M A R T O N.
Je vous trouve très-curieux à voir atifli Monfieur, mais je n’ai pas le tems de rester.
R O S IM O N D.
Très-curieux ! Comment donc! mais elle a des expreflrons : ta Maîtrefle a-t-elle autant d’esprit que toi, Marton ? De quelle humeur est-elle ?
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M A R T O N.
Oh ! d’une humeur peu picquante, aflez infipide, elle n’eft que raisonnable.
ROSI MO ND.
Insipide & raisonnable , il eft parbleu plaiCant : tu n’es pas faite pour la Province. Quand la verrai je , Frontin ?
FRONTIN.
Monsieur, comme je demandois fi vous pouviez lavoir dans une heure , elle m’a dit quelle n’en sçavoit rien.
ROS IMOND.
Le butord !
F RO N TIN.
Point du tout, je vous rends fidellement la réponse.
R O S I M O N D,
Tu rêves ! il n’y a pas de sens à cela. Marton , tu y crois, il ne sçait ce qu’il dit : qu’a-t-elle repondu ?
M A R T O N.
Précisément ce qu’il vous rapporte, Monfieur, qu’elle n’en icavoit rien.
R O S I M O N D.
Ma foi, ni moi non plus.
M A R T O N.
Je n’en fuis pas mieux inftruite que vous. Adieu, Monfieur.
R O SIM O ND.
Un moment, Marton , j’avois quelque
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chose à te dire. Frontin , m’eft-il venu des Lettres ?
FRONTIN.
A propos de Lettres , oui, Moniteur voilà Une qui eft arrivée de quatre lieues d’ici par un Exprès.
ROSIMOND ouvre, & rit a part en lisant
Donne... Ha , ha , ha... . C’eft de ma folle de Comtefte ... .Hum ... hum ...
MARTON.
Monsieur , ne vous trompez-vous pas; Auriez-vous quelque choie à me dire ? Voyez, car il faut que m’en aille.
ROSIMOND toujours lisant.
Hum !.. hum !.. Je suis à toi, Marton ; laisse-moi achever.
MARTON a part à Frontin.
C’eft aparemment-là une Lettre de commerce.
FR ON TIN.
Oui , quelque missive de passage.
ROSIMOND après avoir lu.
Vous êtes une étourdie , Comtesse. Que dite-vous-là , vous autres ?
MARTON.
Nous disons, Monsieur, que c’eft quelque jolie femme qui vous écrit par amourette.
ROSIMOND.
Doucement, Marton , il ne faut pas dire
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cela en ce Pays-ci, tout seroit perdu.
MARTON.
Adieu , Monsieur , je crois que ma Maîtresse m’appelle.
ROSIMOND.
Ah ! c’eft d’elle dont je voulois te parler.
M A R T O N.
Oui, mais la mémoire vous revient quand, je pars. Tout ce que je puis pour votre fervice , c’eft de régaler Hortense de l’honneur que vous lui faites de vous ressouvenir d’elle.
ROSIMOND.
Adieu , donc Marton. Elle a de la gayeté, du badinage dans l’elprit.
SCENE VII.
ROSIMOND , FRONTIN.
FRONTIN.
OH , que non, Monsieur : malpefte vous ne la connoissez pas ; c’eft qu’elle se moque.
ROSIMOND.
De qui ?
FRONTIN.
De qui ? Mais ce n’eft pas à moi qu’elle parloit.
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ROSIMOND
Hem ?
FRONTIN.
Monfieur, je ne dis pas que je l’approuve ; elle a tort : mais c’eft une maligne Soubrette, elle m’a décoché un trait aussi bien entendu.
R OSIMOND.
Eh, dis-moi, ne t’a-t-on pas déjà interrogé fur mon compte ?
FRONTIN.
Oui, Monfieur ; Marton , dans la converfation, m’a par hazard fait quelques questions fur votre chapitre.
ROSIMOND.
Je les avois prévus : Eh bien , ces questions de hazard, quelles font-elles ?
FRONTIN.
Elle m’a demandé fi vous aviez des Maîtreffes. Et moi qui ai voulu faire votre Cour.
ROSIMOND.
Ma Cour à moi! ma Cour !
FRONTIN.
Oui, Monfieur, & j’ai dit que non, que vous étiez un garçon fage, réglé.
ROSIMOND.
Le sot avec sa règle & fa sagesse ; le plaifant éloge ! vous ne peignez pas en beau, à ce que je vois ? Heureufement qu’on ne me connoîtra pas à vos portraits.
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FRONTIN.
Confolez-vous , je vous ai peint à votre goût, c’eft-à-dire, en laid.
ROSIMOND.
Comment !
F RONTIN.
Oui, en petit aimable, j’ai mis une troupe de folles qui courent après vos bonnes grâces; je vous en ai donné une demie douzaine qui partageoient votre cœur.
R OS IM O ND,
Fort bien.
FRONTIN.
Combien en vouliez-vous donc?
ROSIMOND.
Qui partageoient mon cœur ! Mon cœur .avoit bien affaire-là : paffe pour dire qu’on me trouve aimable , ce n’eft pas ma faute ; mais me donner de l’amour, à moi ! C’eft un article qu’il falloir épargner à la petite perfonne qu’on me deftine ; la demie douzaine de Maîtreffcs eft même, un peu trop , on pouvoit en fupprimer quelques unes ; il y a des occasions où il ne faut pas dire la vérité.
FRONTIN.
Bon ! fi je n’avois dit que la vérité , il aurait peut être fallu les fupprimer toutes.
ROSIMO ND.
Non, vous ne vous trompiez point, ce
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n’eft pas dequoi je me plains ; mais c’eft que ce n’eft pas par hazard qu’on vous a fait ces queftions là. C’eft Hortenfe qui vous les a fait faire, & il auroit été plus prudent de la tranquillifer fur pareille matière , & de fonger que c’eft une fille de Province que je vais époufer, & qui en conclut que je ne dois aimer qu’elle , parce qu’apparemment elle en ufe de même.
FRONTIN.
Eh ! peut-être qu’elle ne vous aime pas.
R O SI M O N D.
Oh peut-être ? il falloit le Soupçonner ; c’étoit le plus fur ; mais passons : eft-ce là tout ce qu’elle vous a dit ?
FRONTIN.
Elle m’a encore demandé fi vous aimiez Hortenfe.
ROSIMO ND.
C’eft bien des affaires.
FRONTIN.
Et j’ai crû poliment devoir répondre qu’oui.
ROSIMOND.
Poliment répondre qu’oui ?
FRONTIN.
Oui, Monfieur.
ROSIMOND.
Eh ! de quoi te mêles-tu .? De quoi t’avifes tu de m’honorer d’une figure de foupirant ? Quelle platitude!
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Eh parbleu , c’eft qu’il m’a femble que vous l’aimiez,
ROSIMOND.
Paix; de la dilcretion. Il eft vrai , entre nous , que je lui trouve quelques grâces naïves ; elle a des traits ; elle ne déplaît pas.
FRONTIN.
Ah!que vous aurez grand beloin d’une leçon de Marron ! Mais ne parlons pas fi haut, je vois Hortenfe qui s’avance.
ROSIMOND.
Vient-elle! Je me retire.
FRONT I N.
Ah ! Monfieur , je, crois qu’elle vous voit.
ROSIMOND.
N’importe ; comme elle a dit qu’elle ne fçavoit pas quand elle pourroit me voir, ce n’eft pas à moi à juger qu’elle le peut àprefent, & je me retire par relpedt en attendant qu’elle en décide. C’eft ce que tu lui diras fi elle te parle.
FRONTIN.
Ma foi, Monfieur, fi vous me confultez, ce refpeél-là ne vaut pas le diable.
ROSIMOND en s'en allant.
Ce qu’il y a de commode à vos confeils, c’eft qu’il eft permis de s’en moquer.
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SCENE VIII.
HORTENSE , MARTON, FRONTIN.
HORTENSE.
Il me femble avoir vù ron Maître ici ?
FRONTIN.
Oui, Madame, il vient de sortir par refpect pour vos volontés.
HORTENSE
Comment !...
M A R T O N.
C’eft fans doute à caufe de votre réponfe de tantôt ; vous ne fçayiez pas quand vous pourriez le voir.
FRONTIN,
Et il ne veut pas prendre fur lui de decider la chofe.
HORTENSE.
Eh bien , je la décide , moi ; va lui dire que je le prie de revenir, que j’ai à lui parler.
FRONTIN.
J’y cours, Madame, &Je lui ferai grand plaisir, car il vous aime de tout fon cœur. Il ne vous en dira peut-être rien , à caufe de
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sa dignité de joli homme. Il y a des régles là-dessus ; c’eft une foiblefté : excufez-là , Madame, je fçaisfon lecret, je vous le confie pour fon bien ; & dès qu’il vous l’aura dit lui-même , oh! ce fera bien le plus aimable, homme du monde. Pardon , Madame , de la liberté que je prends ; mais Marton , avec qui je vôudrois bien faire une fin ,fera aufli mon exeufe. Marton, prends nos intérêts en main-, empêches Madame de nous haïr, car, dans le fond , ce ferôit dommage, à une bagatelle près , en vérité nous méritons fon eftime.
HORTENSE riant.
Frontin aime fon Maître , & cela eft louable.
MARTON.
C’eft de moi qu’il tient tout le bon fens qu’il vous montre.
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SCENE IX
HORTENSE , MARToN.
HORTENSE.
Il t’a donc paru que ma réponse a piqué Rofimond ?
MA R T O N
Je l'en ai vû déconcerté, quoiqu’il ait feint d’en badiner , & vous voyez bien que c’est de pur dépit qu’il se retire.
HO R T E N S E.
Je le renvoye chercher , & cette démarche-là le flattera peut-être mais elle ne le flattera pas long-temps. Ce que j’ai à lui dire rabattra de sa présomption. Cependant, Marton , il y a des momens où je luis route prête de laiflèr-là Rofïmond avec ses ridiculités , & d’abandonner le projet de le corriger. Je fens que je m’y interefle trop ; que le cœur s’en mêle & y prend trop de part : je ne le corrigerai peut - être pas , & j'ai peur d’en être fâchée.
MAR T O N.
Eh courage ! Madame, vous réussirez, vous dis-je, voilà déjà d’assez bons petits mouvemens qui lui prennent ; je crois qu’il est
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bien embarraffé. J’ai mis le valet à la raifon, je l’ai réduit : vous réduirez le Maître. Il fera un peu plus de façon ; il difputera le terrain ; il faudra le pouffer à bout. Mais c’eft à vos genoux que je l’attends, je l’y vois d’avance ; il faudra qu’il y vienne. Continuez ; ce n’est pas avec des yeux comme les vôtres qu’on manque son coup ; vous le verrez.
HORTENSE.
Je le souhaite. Mais tu as parlé au valet, Rofïmond n’a-t-il point quelque inclination à Paris ?
M ARTON.
Nulle; il n’y a encore été amoureux que de la réputation d’être aimable.
HO RTE N SE.
Et moi, Marton, dois-je en croire Frontin ? Seroit-il vrai que fon Maître eût de la disposition à m’aimer ?
MARTON.
Nous le tenons, Madame, & mes obfervations font juftes.
HORTENSE.
Cependant, Marton, il ne vient point.
MARTON.
Oh ! mais prétendez-vous qu’il soit tout d’un coup comme un autre ? Le bel air ne veut pas qu’il accourt : il vient, mais négligemment, & à fon aife.
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HORTENSE
Il seroit bien impertinent qu’il y manquât.
MARTON
Voilà toujours votre pere à faplace ; il a peut-être à vous parler, & je vous laisse.
HORTENSE.
S’il va me demander ce que je penfe de Rofimond, il m’embarraffera beaucoup, car je ne veux pas lui dire qu’il me déplaît, & je n’ai jamais eu tant d’envie de le dire.
SCENE X.
HORTENSE , CHRISANTE.
CHRISANTE.
Ma fille, je désèfpere de voir ici mon je n’en reçois point de nouvelles}
& s’il n’en vient point aujourd’hui ou demain au plus tard , je suis d’avis de terminer votre mariage.
HORTENSE.
Pourquoi, mon père, il n’y a pas de néceffité d’aller si vite. Vous sçavez combien il m’aime , & les égards qu’on lui doit; laissons-le achever les affaires qui le retiennent ; différons de quelques jours pour lui en donner le temps.
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CHRISANTE.
C’eft que la Marquife me preffe , & ce mariage-ci me paraît fi avantageux, que je Voudrais qu’il fut déjà conclu.
HORTENSE.
Née ce que je fuis, & avec la fortune que j’ai, il feroit difficile que j’en fisse un mauvais , vous pouvez choifir.
CHRISANTE.
Eh comment choifir mieux ! Biens, naiffance, rang, crédit à la Cour ; vous trouvez tout ceci avec une figure aimable, assurément.
HORTENSE.
J’en conviens, mais avec bien de la jeunesse dans l’efprit.
CHRISANTE.
Et à quel âge voulez -.vous qu’on l’ait jeune ?
HORTENSE.
Le voici.
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SCENE XI.
CHRISANTE , HORTENSE ; ROSIMOND.
CHRISANTE.
MArquis , je difois à Hortenfe que mon frere tarde beaucoup , &c que nous nous impatienterons à la fin, qu’en dites-vous?
ROSIMOND.
Sans doute, je serai toujours du parti de l’impatience.
CHRISANTE.
Et moi aussi. Adieu, je vais rejoindre la Marquise.
SCENE XII.
ROSIMOND, HORTENSE.
R O SIMON D.
Je me rends à vos ordres, Madame ; on m’a dit que vous me demandiez. HORTENSE.
Moi ! Monsieur… Ah ! vous avez raison ;
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oui, j’ai chargé Frontin de vous prier de ma part, de revenir ici ; mais comme vous n’êres pas revenu fur le champ, parce qu’aparem-ment on ne vous a pas trouvé, je ne m’en reffouvenois plus.
ROSIMOND riant.
Voilà une diftraction dont j’aurois envie de me plaindre. Mais à propos de diftraftion, pouvez-vous me voir à préfent, Madame ? Y êtes-vous bien déterminée ?
HORTENSE.
D’où vient donc ce difeours, Monsieur ?
ROSIMOND.
Tantôt vous ne fçaviez pas fi vous le pou-jæz ’Am a r on Se peut être eft-ce encore de même ?
HORTENSE.
Vous ne demandiez à me voir qu’unS heure après, & c’eft une efoece d’avenir dont je ne repondois pas.
ROSIMOND.
Ah !' cela eft vrai ; il n’y a rien de fi exact Je me rappelle ma commiffion, c’eft moi qui ai tort, &je vous en demande pardon. Si vous fçaviez combien le ïèjour de Paris & de la Cour nous gâtent furies formalités, en vérité, Madame, vousm’exeuferiez; c’eft une certaine habitude de vivre avec trop de liberté , une ailânee de façons que je condamne , puifqu’elle vous déplaît, mais
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à laquelle on s’accoutume , & qui vous fera re ailleurs dans les impoliteffes que vous voyez.
H OR T E N S E
Je n’ai pas remarqué qu’il y en ait dans ce que vous avez fait , Monfieur , & fans avoir vu Paris, ni la Cour , perlbnne au monde n’aime plus les façons unies que moi : parlons de ce que je voulois vous dire.
R O SIM O N D.
Quoi ! vous , Madame , quoi ! de la beauté , des grâces , avec ce caraétere d’efprit-là, £c cela dans l’âge où vous ères , vous me furprenez ; avouez-moi la vérité, combien ai-je de Rivaux ? Tout ce qui qui vous voit, tout ce qui vous approche , foupire : ah ! je m’en doute bien , & jê ri’en ferai pas quitte à moins; La Province me le pardonnera-t-elle ? Je viens vous enlever : convenons qu’elley fait une perte irréparable.
H O R TE N S E.
Il peut y avoir ici quelques personnes qui ont de l’amitié pour moi, & qui pourroient m’y regretter ; mais ce n’eft pas de quoi il s’agit.
R O SI M O N D.
Eh ! quel fecret , ceux qui vous voyent, ont-ils pour n’être que vos amis avec ces yeux-là ?
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H O R T E N S E.
Si parmi ces amis il en eft qui foient autre chofè , du moins font-ils diferets , 8c je ne les connois pas. Ne m’interrompez plus, je vous prie.
R OS IM ON D.
Vraiment, je m’imagine bien qu’ils foupirent tout bas , & que le re/peét les fait taire. Mais à propos de refpecft, n’y man-querois-je pas un peu , moi , qui ai penfé dire que je vous aime. Il y a bien quelque petite chofè à redire à mes difeours , n’eft-ce pas^ mais ce n’eft pas ma faute. (Il veut lui prendre une main. )
H O R T E N S E.
Doucement , Monsieur , je renonce à vous parler.
R O SI MO ND.
C’eft que férieusement vous êtes belle avec excès ; vous l’êtes trop , le regard Je plus vif, le plus beau teint : ah ! remerciez-moi , vous êtes charmante , & je n’en dis prefque lien ; la parure la mieux entendue ; vous avez-là de la dentelle d’un goût exquis, ce me femble. Pallez-moi l’éloge de la dentelle ; quand nous marie-t-on ?
HORTENSE.
A laquelle des deux queftions voulez-vous que je réponde d’abord ? A la dentel; .le, ou au mariage?
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ROSIMOND.
Comme il vous plaira. Que faifons-nous cet après-midi ?
HORTENSE.
Attendez, la dentelle eft paflable ; de cet après-midi le hazard en décidera -, de notre mariage , je ne puis rien en dire , & c’eft de quoi j’ai à vous entretenir, fi vous voulez bien me laiffcr parler. Voilà tout ce que vous me demandez , je penfe ? Venons au mariage.
ROSIMOND.
Il devrait être fait ; les parens ne finiffent point !
HORTENSE.
Je voulois vous dire au contraire qu’il ferait bon de le différer, Monsieur.
ROSIMOND.
Ah ! le différer, Madame !
HORTENSE.
Oui, Monsieur, qu’en penfez-vous ?
ROSIMOND.
Moi, ma foi, Madame, je ne penfe point, je vous époufe. Ces chofes-là fur tout, quand elles font aimables, veulent être expédiées, on y penfe après.
HORTENSE.
Je crois que je n’irai pas fi vite; il faut s’aimer un peu quand on s’époufe.
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ROSIMOND.
Mais je l’entends bien de même.
HORTENSE.
Et nous ne nous aimons point.
ROSIMOND.
Ah ! c’eft une autre affaire ; la difficulté ne me regarderait point : il eft vrai que j’cfpé-rois, Madame , j’efperois , je vous l’avoue, Seroit-ce quelque partie de cœur déjà liée ?
HOR TENSE.
Non , Monsieur, je ne fuis, jufqu’ici, prévenue pour perfonne.
ROSIMOND.
En tout cas, je vous demande la préfé-rance. Quant au retardement de notrç mariage , dont je ne vois pas les raifons, je ne m’en mêlerai point, je n’aurois garde, on me mène , & je fuivrai.
HORTENSE.
Quelqu’un vient; faites réflexion à ce que je vous dis, Monsieur.
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SCENE XIII,
DORANTE, DORIMENE HORTENSE, ROSIMOND.
R OS I M O ND allant à Dorimene
EH ! vous voilà , Comteffe. Comment! avec Dorante ?
LA COMTESSE embraffant Hortense
Eh ! bon jour , ma chere enfant ! Comment se porte-t-on ici ? Nous fommes alliés, au moins , Marquis
R O S I M O N D.
Je le fçais.
LA COMTESSE.
Mais nous nous voyons peu. Il y a trois ans que je ne fuis venue ici.
HORTENSE.
On ne quitte pas volontiers Paris pour la Province.
DORIMENE.
On y a tant d’affaires , de dissipations ! les momens s’y passent avec tant de rapidité !
RO SIM O ND.
Eh ! où avez-vous pris ce garçon-là, Comteffe ?
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DORI M EN E a Hortenfe.
Nous nous fommes rencontrés. Vous voulez bien que je vous le préfente ?
R O S I M O N D.
Qu’en dis-tu, Dorante : ai-je à me louer du choix qu’on a fait pour moi ?
DORANTE.
Tu es trop heureux.
ROSIMOND A Hortenfe.
Tel que vous le voyez , je vous le donne pour une efpece de fage qui fait peu de cas de l’amour ; de l’air dont il vous regarde pourtant, je ne le crois pas trop en fureté ici.
DORANTE.
Je n’ai vu nulle parc de plus grand danger, j’en conviens.
DORIMENE riant.
Sur ce pied-là, fauvez-vous, Dorante , fauvez-vous.
HORTENSE.
Trêve de plaifanterie , Messieurs.
ROSIMOND.
Non , sérieusement, je ne plaisante point ; je vous dis qu’il eft frappé, je vois cela dans fes yeux : remarquez-vous comme il rougit ? Parbleu je voudrois bien qu’il foupirat, & je vous le recommande.
DORIMENE.
Ah doucement, il m'appartiens; c’est
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une espece d’infidelité qu’il me feroit ; car je l’amene, à moins que vous ne teniez sa place, Marquis.
ROSIMOND.
Assurément j’en trouve l’idée tout-à-fait plaifante, & c’est de quoi nous amuser ici (à Hortenfe. ) N’eft-ce pas, Madame ? Allons, Dorante, rendez vos premiers hommages à votre Vainqueur.
DORANTE.
Je n’en suis plus aux premiers.
SCENE XIV.
DORANTE, DORIMENE; HORTENSE , ROSIMOND, MARTON.
MARTON.
MAdame, Monsieur le Comte m’envoye scavoir qui vient d’arriver ? DORIMENE.
Nous allons l’en instruire nous-mêmes. Venez, Marquis, donnez-moi la main, vous êtes mon Chevalier. (à Hortenfe.) Et vous , Madame, voilà le vôtre.
(Dorante presente la main a Hortenfe.) (Marton fait figne a Hortenfe.)
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HORTENSE.
Je vous suis, Messieurs. Je n’ai qu’un mot à dire.
SCENE XV.
MARTON ,HORTENSE.
HORTENSE.
QUe me veux-tu , Marton ? Je n’ai pas le tems de rester, comme tu vois.
MARTON.
C’eft une Lettre que je viens de trouver, Lettre d’amour écrite à Rofimond , mais d’un amour qui me paroît fans conféquence. La Dame qui vient d’arriver pourroit bien l’avoir écrite ; le billet eft d’un stile qui reffemble à fon air.
HORTENSE.
Y a-t-il bien des tendresses ?
MARTON.
Non, vous dis-je, point d’amour & beau ; coup de folies ; mais puisque vous êtes preffée, nous en parlerons tantôt. Rofimond devient-il un peu plus supportable ?
HORTENSE.
Toujours aussi impertinent qu’il est aimable. Je te quitte.
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MARTON.
Monfieur l’impertinent, vous avez beau faire , vous deviendrez charmant sur ma parole, je l'ai entrepris.
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