À très haute et très puissante dame Marie de Rieux comtesse de Chemillé.
Madame,
Panthée, autrefois susienne, se fait aujourd’hui française. Et sa mémoire, que les siècles semblaient avoir réduite à son couchant, reprend sa clarté, à l’Orient de la vôtre, miracle du monde, qui est telle qu’il semble que Panthée n’a été ci-devant que pour faire à présent le parallèle de vous deux, ou que le Ciel vous a fait naître pour marque qu’il a pu en vous former un sujet plus parfait que l’Antiquité n’a cru de cette Susienne, et que la postérité à peine croira de vous. L’une et l’autre avez eu des maris grands, issu d’un sang relevé, tous deux vaillants, et tous deux morts pour le service de leurs princes. À toutes deux le Ciel vous a départi ses plus rares faveurs du corps et de l’âme, et l’une et l’autre avez fait voir que, comme la forme ronde comprend en soi toutes les autres figures, aussi que l’amour, dont vous avez honoré la mémoire de vos maris, elle part la mort, vous par le veuvage, a compris toutes autres affections, comme leur origine, leur principe et leur océan. Mais la même cause, qui a donné l’âme aux vives pointes de la douleur de vous deux, et tire sa naissance de la fin de la moitié de vous-mêmes, a produit en vous deux aussi de divers effets, selon les âges et créances de nos siècles, qui, combattant la faiblesse de l’Antiquité réveillée par les stoïques, ne nous donne puissance sur nos vies que pour commander à nous-mêmes et à notre douleur. Elle pour signaler son amour, fuyant la lumière, ne voulut dire ses regrets qu’à l’ombre de son mari, et n’en choisit que les enfers pour témoin. Vous, au contraire, qui êtes éclairée des rayons du vrai soleil, plus contente que la douleur n’a eu de trait pour vous affliger, avez fait voir que la réponse du gymnosophiste au grand Alexandre, était digne d’un grand philosophe, d’un grand roi, et de votre grand cœur : « Que la vie est plus forte que la mort, parce qu’elle demeure pour vaincre la douleur, que la mort fuit, pour ne l’oser combattre. » Il faudrait un autre Xénophon, dont la plume fût immortelle, pour représenter vos miracles sous le personnage de Panthée, et cela me fait frissonner de crainte que, tout ainsi que le soleil paraissant dans un nuage par la réflexion demeure toujours tel qu’il est et le nuage incontinent disparaît, ainsi que vous, éclairant toujours sur l’horizon de la France, la nue et l’ombrage, dans lequel ma plume et ma veine stérile a voulu envelopper de si divins mystères, s’évanouisse comme fils de la terre, semence de Cadine, ou comme l’Ephæmeron, qui ne connaît sa naissance que par le moment de sa vie et de sa mort. Toutefois ma peur cesse par la hardie entreprise de le vous dédier, et de lui mettre votre nom sur le front, car tout ainsi que Médée, nourrissant ses enfants dans le temple de Junon, les rendit immortels, et que dans la Grèce les morts qu’on enterrait dans les temples prenaient l’éternité, aussi vous consacrant ce fruit de ma Muse, il ne peut qu’il ne s’éternise par sa vie, ou à tout le moins par sa mort, et la postérité ne le pourra dédaigner, ne fusse que d’autant qu’il y a des choses qui ne reçoivent prix que parce qu’elles sont dédiées aux temples. Vous suppliant, Madame, encore que votre âme, le modèle de la perfection, ne daigne concevoir des choses si basses, d’avoir agréable le témoignage que je désire rendre d’être,
De votre grandeur,
Le très humble et obéissant serviteur,
Claude Guérin.