À noble et révérende dame, Madame Anne Jaymaert, abbesse du Val Notre-Dame, dame de Momelette, Cortil, etc.
Madame,
J’allais inopinément offenser la sainte dévotion, qui vous a dès vos plus tendres ans conduite, par la main du cœur, à Jésus-Christ pour ne vivre, et ne respirer que son divin amour, car je doutais de prime abord que cette tragédie la plus cruelle, mais la plus utile à notre rédemption qui se soit jamais vue au monde, n’oserait, échappant de mes mains, se trouver (comme étant toute à vous) dans les vôtres. J’ai été enfin persuadé par la raison, comme il me semble, que je ne pouvais faillir à mon devoir, en vous offrant ce poème, peu sortable aux personnes délicates, auxquelles la vaine curiosité fait trouver beau tout ce que la vanité du siècle avoue tel. Si l’amante fidèle, qui aime uniquement pour ne jamais haïr, reçoit avec allégresse tout ce qui procède de son amant, jusques à un bouquet de peu de mise, la passion de notre Rédempteur vous doit donc être plausible ; si ce n’est que vous me disiez que cette matière devait être maniée et traitée d’une langue moins ignare et plus diserte que la mienne, mais votre bonté, à l’abri de laquelle je me mets, m’assure que ces fleurs (bien que cueillies parmi les épines et tintamarres du monde, où ma condition m’engage) ne vous seront de mauvaise odeur, puisqu’elles procèdent du jardin de votre amoureux Jésus. L’accueil que vous leur ferez me fera contribuer autant plus librement ce que je dois à la gloire de votre renommée, qui occupe le désir et la main de nos Muses à plier de bouquets en couronnes, pour les offrir éternellement à la gloire de votre nom : beau nom d’Anne qui signifie gracieuse, augure fortuné pour moi, me faisant espérer que vous recevrez gracieusement cet œuvre, et que le Ciel me fera naître quelque autre occasion plus ardue, pour vous témoigner à combien d’heur et de félicité je conserve le titre d’honneur, qui me qualifie de Votre Révérence,
Madame,
Le très humble serviteur,
Denis Coppée.