À la reine mère du roi, Marie de Médicis, reine de France et de Navarre.
Madame,
Cette bergère si différemment vêtue de toutes celles qui se sont encore vues en France, n'eût pas eu la hardiesse de s'y présenter, n'eût été le support qu'elle espère de recevoir de votre Majesté, aux pieds de laquelle elle se va jeter, afin que vous ayez agréable que étant avouée d'une si grande reine, elle puisse jouir du privilège de ceux qui ont un titre si honorable. Et quoique cette hardiesse pourrait être estimée présomption, si en est-elle en quelque sorte excusable, puisque ses habits italiens ne vous peuvent être étrangers, et que même c'est par votre commandement qu'elle est ainsi revêtue, y ayant quelques années qu'il plut à votre Majesté de me le commander. Que s'il y a du défaut en son corps, je m'en remets à ceux qui auront meilleur jugement que moi, mais je suis très assuré qu'il n'y en a point en son habit, puisqu'il est fait sur le patron de tant de grands personnages qu'il est impossible qu'ils y aient laissé quelques imperfections. Qu'elle sera glorieuse si vous la daignez regarder, et que chacun la trouvera belle, si l'on sait, Madame, qu'elle ait reçu cet honneur de vous. Je n'ose en supplier votre Majesté, quoique ce fût l'une de mes plus grandes ambitions, parce que je craindrais que cette supplication ne fût estimée une témérité. Et toutefois, s'il m'est permis de le dire, je pense qu'en quelque sorte vous y êtes obligée, cette bergère étant originaire de ce pays de Forez, qui en France est particulièrement à votre Majesté. Comme votre sujette, recevez-la donc, Madame, et si elle n'a autre mérite pour parvenir à un si grand bonheur que celui du lieu de sa naissance, faites paraître en sa personne combien la bonté de votre majesté se plaît à gratifier tous ceux qui sont nés ses sujets. Du nombre desquels ma bonne fortune m'ayant fait être aussi bien qu'elle, je la vous offre pour témoignage de l'affection et dévotion que j'ai au service de votre Majesté, comme,
Madame,
Très humble, très fidèle et très obéissant sujet et serviteur,
Honoré d'Urfé.