Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>Les Amours d'Astrée et de Céladon</em> De Rayssiguier (16..?-1660) 1630 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1630_rayssiguier_amours-astree-celadon_dedicace 1630 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À Mademoiselle de Ragny.

Mademoiselle,

Quelque vertu que l’on ait en soi, et quelques belles qualités que nous ayons reçues de la faveur du ciel, c’est une grande satisfaction que de tirer sa naissance de parents illustres, et dont la mémoire soit chère à tout le monde. Je sais bien que la nature a mis en vous toutes les parties nécessaires à la perfection d’une vertueuse beauté, et que votre esprit et votre corps ont reçu d’elle tous les avantages qu’elle a de coutume de donner séparément à plusieurs. Néanmoins si vous ne tiriez votre naissance des illustres maisons de Ragny, et de Retz, il semble qu’il vous défaudrait quelque chose ; et, sans mentir, ce vous doit être un grand contentement d’ouïr quelque part où vous soyez les louanges que l'on doit justement à ces deux races, et ce ne vous est pas une petite consolation de la mort de Monseigneur le marquis de Ragny votre père, que de savoir qu’il est mort travaillant à relever la foi catholique, et à réduire les villes que les rebelles avaient détournées du service de sa Majesté. Pour moi qui dans le Languedoc ai eu l’honneur d’être oculaire témoin de la plupart de ses généreuses actions, je sais bien qu’il y a laissé des marques de sa valeur, qui ne se peuvent jamais perdre. Tant de villes, où l’hérésie et la rébellion avaient presque effacé la mémoire de la vraie religion, et de l’autorité royale, réduites aujourd’hui par sa prudence et sa générosité en l’obéissance du roi, seront des grands et durables monuments de sa gloire, que si vous êtes satisfaite d’avoir eu un père dont le nom est si recommandable à la mémoire des hommes, sans doute vous ne le serez pas moins, considérant que vous avez pour aïeul ce grand maréchal de Retz, très illustre père de madame votre mère, qui par ses propres vertus oblige l’envie même à l’honorer, et qui ne tire pas moins de gloire de son seul mérite, que d’être fille d’un si excellent personnage, de qui les merveilleuses actions ont pu mériter les bonnes grâces de deux puissants rois, et de qui l’on a vu sortir tant de ducs et pairs, tant de généraux d’armées sur mer et sur terre, et tant de grands prélats, entre lesquels on voit éclater comme de grandes lumières les vertus de Monseigneur l’archevêque de Paris votre oncle, et les actions de feu Monseigneur le cardinal de Retz son frère, et mon bienfaiteur, que la judicieuse élection de notre monarque fit chef de son conseil, et de qui la prudence et la piété ont donné le premier et le plus grand coup à la ruine de la rébellion et de l’hérésie, qui semblaient être enracinées dans le Béarn, et de là, comme en des branches s’étendre par toute la France. Mais je me referme d’en parler plus particulièrement dans un poème héroïque, où mon génie pourra plus librement faire paraître sa vigueur, et les obligations que j’ai à ces deux maisons. Cependant, Mademoiselle, je vous supplie de faire un accueil favorable à ces bergères, qui vont faire hommage de leur beauté à la vôtre : la justice de leur action semble le mériter. Elles viennent des rives de Lignon pour avoir l’honneur de vous assurer que vous êtes la seule à qui elles voudraient rendre ce devoir ; leurs bergers qui les accompagnent ne leur ont pas donné une petite appréhension de changement : quelque témoignage qu’elles eussent reçu de leur fidélité, cette grâce et cette beauté, qui attirent sur vous les yeux et les cœurs de toute la cour, la leur avaient justement donnée. Toutefois remises par les assurances que l’une a reçu[es] de son Céladon, et l’autre de son Silvandre, elles viennent en habit nouveau vous offrir les dernières actions de leurs amants, afin qu’on juge par là que, si leur beauté, qui est beaucoup moindre que la vôtre, a pu inspirer de[s] mouvements si nobles en des âmes rustiques, qu’est-ce que vous ne pourrez pas dans les âmes généreuses des courtisans, dont les plus grands et les plus judicieux s’estiment heureux d’être au nombre de vos esclaves, et moi d’être,

Mademoiselle,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

De Rayssiguier.