Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>La Silvanire</em> Mairet, Jean (1604-1686) 1631 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1631_mairet_silvanire 1631 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À très haute et très puissante dame, Madame Marie-Félicie des Ursins, duchesse de Montmorency et d'Ampville, baronne de Châteaubriand, etc.

Madame,

Dès le même instant que je formai le dessein de cet ouvrage-ci, je conçus celui de le dédier à Votre Grandeur. J'ai toujours considéré ma Silvanire comme une beauté que j'élevais pour paraître quelque jour aux yeux d'une des plus vertueuses et des plus parfaites dames de la terre. En suite de cette considération je ne me suis pas tellement étudié à la rendre belle, que j'aie oublié de faire encore qu'elle fût honnête, pour être en quelque façon digne de se présenter devant vous. Par ces circonstances, Madame, il vous est aisé de juger que connaissant votre vertu, comme je la dois connaître, et n'ayant jamais eu de plus forte ni de plus juste passion que celle de vous plaire jusques aux moindres choses, j'aurai pris soin de tenir ce poème dans une telle pureté d'actions, et de paroles, que votre modestie n'en puisse appréhender la représentation, ni rejeter la lecture. Enfin, Madame, voici cette Morte vive, qui du parc ombrageux de votre magnifique maison de Chantilly, se voit aujourd'hui contrainte de passer à la clarté de la cour, où vous savez s'il est important de faire son entrée de bonne grâce. Elle a su de la voix du peuple combien de caresses et de bonheur y reçut autrefois son aînée la bergère Sylvie, sous la protection de Monseigneur ; elle ne s'en promet pas moins de la vôtre, si vous lui faites l'honneur de l'en gratifier, comme elle vous en conjure très humblement. Le souci de réussir à la cour n'est pas ce qui lui donne le plus de peine, puisqu'il est assuré que sous vos auspices elle n'y saurait être que parfaitement bien reçue. Toute la difficulté qui l'arrête, c'est d'agréer premièrement à Votre Grandeur, et d'engager par là votre réputation à la défense de la sienne. Je ne doute point que, de deux parties qui lui sont absolument nécessaires pour vous plaire, la bienséance et la beauté, vous n'y fassiez rencontre de la première, et pour la seconde, j'appréhende extrêmement pour elle et pour moi que vous y trouviez beaucoup de choses à désirer. Ce n'est pas qu'à bien considérer les diligences que j'ai apportées à l'embellissement de son visage je ne puisse me faire accroire (et peut-être sans vanité) qu'elle ne passera point pour laide aux yeux de la plupart du monde. Mais quand je viens à me représenter, Madame, l'extraordinaire bonté de votre esprit, jointe à cette vive clarté de jugement qui ne paraît pas moins en vos actions qu'en vos paroles, surtout lorsqu'il me souvient que je vous ai vu découvrir quelquefois en diverses matières de poésie des grâces et des défauts qui ne doivent être visibles qu'aux plus clairvoyants de la profession, n'ai-je pas juste sujet de craindre que vous n'en découvriez en ma bergère, dont personne que vous ne se serait que tard aperçu ? Toute la France est d'accord que l'Italie ne lui donna jamais rien de beau ni de précieux comme la Reine Mère, et vous, qui participez aussi bien à ses incomparables vertus qu'à la splendeur de sa race ; et néanmoins, ou je ne connais du tout point la langue en laquelle je vous écris, ou vous la parlez justement comme il faudrait que je l'écrivisse pour faire accroire aux courtisans qu'elle m'est naturelle. Ce n'est pas ici mon dessein de vous louer ; plût à Dieu, Madame, qu'il me fût permis de le faire ; quelque mauvais orateur que je puisse être, je ne pense pas que, sur une si belle matière, mon affection à votre service ne me fît dire de très belles choses, et ne serais point en doute que ces âmes lâches à qui les louanges du mérite d'autrui sont ordinairement insupportables, ne souffrissent sans murmurer la pureté des vôtres, bien loin de m'en contester la vérité. Mais d'autant qu'ayant l'honneur, comme je l'ai, d'être particulièrement à Votre Grandeur, je fais profession aussi de lui rendre une particulière obéissance, je ne sortirai point des bornes que votre modestie me semble avoir prescrites sur ce sujet, sous cette protestation toutefois que c'est avec une indicible répugnance de ma volonté que je m'y tiens. Car outre la violence que je me fais, c'est chose infaillible que mon silence sera toujours plutôt soupçonné d'ingratitude que justifié par la considération du respect qui me l'impose, et que la postérité, qui saura quelque jour par la bouche de la renommée que vous avez été la merveille de votre sexe et l'admiration du nôtre, ne me pardonnera pas facilement la faute que je commets de laisser échapper une si belle occasion de l'en assurer moi-même par mes écrits. Avec tout cela, Madame, j'aime beaucoup mieux être assuré d'être blâmé de tout le monde que me mettre seulement au hasard de vous fâcher. Je sais fort bien qu'une pure et haute vertu comme la vôtre se contente de mériter la louange, sans se soucier beaucoup de la recevoir. Je m'accommoderai donc à la modestie de votre humeur, à condition, Madame, qu'en récompense vous avouerez s'il vous plaît cette bergère pour vôtre et que, sans vous souvenir que vous êtes issue de la très florissante et très illustre maison des Ursins, qui presque aussi vieille que la nouvelle Rome, qu'elle embellit encore aujourd'hui de sa splendeur, a donné de si dignes successeurs à saint Pierre et de si grands capitaines à l'Europe, que sans vous souvenir, dis-je de la hauteur de votre naissance ou de la bassesse de la sienne, Votre Grandeur accordera deux ou trois heures de son loisir au désir qu'elle a de l'entretenir de ses aventures. Il est certain qu'elles sont amoureuses, mais aussi vous ai-je déjà protesté que cette légitime affection avec laquelle elle répond à celle de son berger est à peu près de la nature de celle-là que le mariage vous permet d'avoir pour un des plus glorieux hommes de la terre et qu'un des plus glorieux hommes de la terre a réciproquement pour vous. Cela me persuade, Madame, que vous ne l'en écouterez pas moins volontiers et que vous la recevrez avec cette même bonté de naturel qui vous fait aimer généralement de tout le monde. Que s'il arrivait par aventure que vous la trouvassiez belle, que ma satisfaction serait accomplie, et que je me tiendrais bien récompensé de la peine que j'ai prise à la rendre telle. Je vous jure, Madame, et je le dis sans flatterie, que la seule estime que vous ferez de mon ouvrage me déterminera la bonne ou la mauvaise opinion que j'en dois prendre, avec autant ou plus de certitude, que si Malherbe ou Virgile revenaient au jour afin de m'en dire la vérité. On a toujours observé que votre esprit, qui n'est borné d'aucune sorte de matière, est encore appuyé d'une force de jugement qui ne doit rien à celui de ces habiles à qui notre siècle défère tant que de ne juger du prix des choses que par l'estime qu'ils en font. Mais peut-être que j'abuse indiscrètement de votre patience, je finirai donc, après vous avoir priée de recevoir agréablement ce témoignage de mon devoir, que je vous rends d'aussi bon cœur que je me dis,

Madame,

De Votre Grandeur,

Le très humble et très obéissant serviteur,

Mairet.