À très haute, très puissante et très vertueuse dame Catherine de Castille, comtesse de Saint-Hérem.
Madame,
Lorsque j’ai pris le dessein de faire voir le jour à cet ouvrage, j’ai à même temps appréhendé qu’il ne tombât entre les mains d’une infinité de personnes qui n’adorent que leurs pensées, et ne font gloire que de mépriser les inventions d’autrui ; cette vérité m’a d’autant plus fait craindre de parvenir heureusement au bout de mon entreprise qu’avec passion j’en souhaite une bonne issue. Et à n’en point mentir ma plume n’eût jamais été si hardie, que d’exposer cet essai de mon esprit aux yeux du monde si le sort ne m’eût été si propice, que de me faire rencontrer une personne, laquelle daignât favoriser bénignement ce livret de l’appui de sa grandeur. C’est de vous, Madame, quoique trop témérairement si je regarde mon incapacité, mais assez justement, ce me semble, si vous avez égard à votre bonté, de qui j’espère recevoir cette faveur. Ce serait en vain, que j’aurais employé toute mon industrie, si ce mien ouvrage, comme l’arc-en-ciel qui ne peut subsister un seul moment sans le bénin aspect du soleil, ne trouvait quelque astre favorable dans le ciel de notre France, pour lui départir abondamment les douces influences de sa lumière. Vous êtes, Madame, cet unique soleil, sous les rayons duquel je désire produire mes pensées, sous les éminentes qualités que vous possédez, qui sont encore d’une nature beaucoup plus noble que celle des astres, parce qu’elles ne trouveront jamais en vous d’accidents, et tous ces flambeaux des cieux sont sujets aux éclipses. Aussi, Madame, êtes-vous issue de cette maison tant renommée de Castille, de laquelle sont sortis un nombre infini des plus célèbres personnages de l’Europe, tellement recommandables par leur valeur que jusques ici ils n’ont été sujets à aucune vicissitude, ni changement de la fortune. Mais d’autant que ce qui naît avec vous n’est point tant vôtre que ce qui vous suit après la naissance, permettez-moi de dire, Madame, que votre mérite est si fort relevé qu’il vous tire hors du pair de toutes les choses du monde, et qu’en vous comme en un abrégé de perfections on rencontre tout ce qu’il y a d’admirable dans la nature. Ne puis-je point assurer sans flatterie, que dans votre personne sont miraculeusement raccourcis les faits héroïques et nobles vertus de vos ancêtres ? Le courage des uns, la prudence et sagesse des autres, la piété et religion de tous, la gravité, la modestie, la douceur, la beauté d’esprit, enfin, tous les biens de l’âme, du corps et de fortune diversement éparts aux uns et aux autres s’efforcent par une mutuelle contention de s’unir en votre personne pour rendre un chef-d’œuvre inimitable comme il est plein d’admiration, à l’instar d’Apelle, qui tira sa Vénus, dame de toutes les beautés, de la beauté de toutes les dames de Grèce. Les témoignages que vos actions produisent tous les jours sont autant de preuves évidentes, capables de couvrir le visage de honte à celui qui en concevrait quelque doute ; je les passe néanmoins sous silence, n’osant parler de vos vertus à vous-même, puisque vous tirez gloire de les méconnaître, et que vous cachez tant de feux sous la cendre de votre humilité, aussi bien ne nous est-il permis que de vous admirer, puisque l’imitation nous en est impossible, et je crois me rendre moi-même admirable en publiant partout que je suis tout vôtre. Si les lois du devoir et de la nature veulent que, par quelque espèce de reconnaissance conforme au pouvoir qu’en ont les hommes, ils tâchent de se revancher des faveurs dont on les a obligés, en ayant reçu de vous une infinité, je ne puis qu’avec ingratitude passer les occasions sans vous en remercier. N’en ayant point de meilleure à présent que celle de ce petit œuvre, je prends la hardiesse, lui faisant voir le jour de vous le dédier, comme une chose qui vous est justement due, afin de rendre au public cette évidente marque de mon affection à votre service. Ne regardez pas, je vous en prie, à la qualité de la pièce que je vous présente pour preuve de ce zèle : c’est un peu d’eau rencontrée en mon chemin, que je vous offre dans le creux de mes mains ; c’est un bouquet de tulipe panachée de mon jardin, qui vous agréera peut-être, pour sa variété et pour sa beauté. Que si les zéphyrs de vos grâces se répandent sur ces fleurs, elles pourront peut-être porter leur odeur plus loin que je ne les saurais espérer. Il y a des ouvrages qui n’ont aucun prix que ceux qu’ils tirent de leur brièveté et de leur diversité, qualités quasi toujours agréables ; celui-ci est de cette façon, et les parties qui le composent sont si courtes et les sujets si divers que le change fera perdre l’ennui en la lecture d’un tissu si diversifié. Peut-être dans cette variété de pièces s’en trouvera-t-il quelqu’une honorée de votre nom en leur récit, ce qui me fait espérer une favorable réception des autres ; au moins ce ramas servira-t-il d’un monceau de témoignages de mes plus vives affections, et pour publier par tout le monde le nombre d’obligations qui m’attachent à ne rechercher que les moyens d’être estimé de vous,
Madame,
Votre très humble et très obéissant Gaillard le philosophe naturel, le docteur de ce temps, le fidèle et le plaisant.