À Mademoiselle de Rohan.
Mademoiselle,
Si dès l’âge de huit à dix ans votre esprit et votre jugement m’ont donné de l’admiration, que doivent-ils faire maintenant que, fortifiés par le temps et par la parfaite connaissance des plus belles choses, ils ne trouvent rien qui les arrête, et qui ne soit au-dessous de leur portée ? Pour moi, je confesse que je ne sais point de termes qui le puissent exprimer, et que depuis quatre ou cinq ans que j’ai mis au jour quelques-uns de mes ouvrages, j’ai toujours eu le dessein de les y mettre sous votre protection, sans avoir eu pourtant la hardiesse de le faire. Nous osons bien regarder le soleil naissant, mais lorsqu’il s’avance sur notre horizon, l’éclat de sa lumière nous offusque ; il m’en est arrivé de même en votre endroit, j’ai osé durant vos premières années me donner l’honneur de vous voir, et vous me l’avez permis, je vous ai donné quelques-uns de mes vers, et vous m’avez fait la faveur de les recevoir, mais aujourd’hui qu’une grande lumière vous environne, que votre esprit est éclairé des plus belles connaissances, et que la beauté et la vertu ont assemblé en vous toutes les perfections du corps et de l’âme, c’est avec raison que je n’ai pas osé me donner l’honneur de vous aller faire la révérence, et que j'ai craint d’être blâmé si j’avais entrepris de faire voir votre nom au front de quelqu’une de mes œuvres. J’aurais été toute ma vie dans cette crainte respectueuse, si je n’eusse considéré qu’il y a des hardiesses qui sont honnêtes, et que c’est plutôt faillir de ne les avoir pas que de les avoir. Et puis, je sais bien que vous n’êtes pas de l’humeur de ces grands qui méprisent tout ce qui est au-dessous d’eux ; vous recevez d’aussi bon œil les vœux des malheureux que de ceux que la fortune favorise. C’est pourquoi j’espère, Mademoiselle, que vous recevrez favorablement les miens, et le présent que je vous fais de ma Calirie, de qui la généreuse action vous plaira d’autant plus que votre affection ne s’attache point aux choses de la terre, que ses objets sont plus relevés, et moins capables de changement. Il me serait inutile de toucher à vos louanges dans cette épître ; il n’y a point d’homme pour si éloigné qu’il soit de notre climat qui ne sache bien que vous en méritez plus que tous les meilleurs esprits ne vous en sauraient donner, et qu’on ne peut toucher à des choses si délicates sans les gâter, plutôt que de les embellir, que s’il y en avait de si ignorants et de si barbares qui n’eussent pas cette connaissance, il est impossible qu’il y en ait qui, au seul nom de Monseigneur le duc votre père, et de Madame votre mère, ne confessent que de si grands personnages, les merveilles de l’un et de l’autre sexe, et l’honneur de notre siècle ne peuvent vous avoir donné l’être, et vous avoir élevée sans que vous ayez toutes les perfections que l’on désire aux plus grandes princesses. Je me contenterai donc d’admirer en vous tous ces grands avantages que les anciens et les modernes n’ont jamais trouvé que séparés en plusieurs, et je vous supplierai cependant de prendre en votre protection cette généreuse amante, et d’excuser les saillies et les déguisements de Cintille, puisque l’amour les a fait naître, et que toutes les dames n’ont pas comme vous l’esprit assez fort pour s’en défendre, et je vous assurerai que si vous trouvez quelque divertissement en la lecture de leurs traverses, je serai plus heureux que le reste des hommes : aussi suis-je,
Mademoiselle,
Le plus humble, le plus affectionné, et le plus obéissant de tous vos serviteurs,
De Rayssiguier.