À Mademoiselle de Rambouillet.
Mademoiselle,
Depuis qu'un homme qui méritait beaucoup puisqu'il méritait votre estime, je veux dire mon cher et parfait ami feu Monsieur de Chandeville (de qui je regrette sensiblement la perte, et chéris la mémoire uniquement) m'eut donné l'honneur d'être connu de votre maison, je fis vœu de ne mettre jamais rien au jour, qui n'en fût premier jugé digne dans l'Hôtel de Rambouillet, de tenir pour maximes indubitables toutes vos opinions, et pour arrêts souverains tous les sentiments de ces excellentes personnes qui firent un miracle en vous donnant l'être. Je pense m'être acquitté jusqu'ici fort religieusement de mon vœu. Et je m'assure, Mademoiselle, que cette divine Angélique, qui vous aime et que vous aimez avec tant de raison, ne me refusera pas la faveur de vous témoigner qu'elle m'a vu dans le dessein d'en user toujours ainsi. Et certes, à vrai dire, il est bien doux d'avoir des juges aussi pleins de bonté que de connaissance, et de qui la censure et l'approbation se trouvent également utiles et glorieuses. Mon Vassal Généreux, à qui vous avez fait l'honneur d'accorder la dernière, après avoir eu l'applaudissement du théâtre, va tâcher d'obtenir sous votre nom celle des ruelles et des cabinets. Ce serait là qu'il entreprendrait vos louanges, et qu'il dirait qu'on voit en vous :
Ô merveille des yeux, aimable autant qu'aimée,
La Vertu sous le voile, et Pallas désarmée.
Mais il sait bien que la beauté de votre portrait vous ferait rougir, que vous croyez que tous les miroirs vous flattent, et que vous apportez autant de soin à couvrir les rares qualités qui sont en vous que les autres en apportent à montrer celles qu'ils pensent avoir. Mais comme l'esprit tient de la nature du feu, et qu'il a des lumières aussi bien que lui, il n'est pas aisé de les cacher : ce sont des soleils qui savent percer les nuées, et chacun les voit éclater en vous à travers votre modestie. Oui, Mademoiselle, on les voit en tous vos discours, on les remarque en toutes vos actions, et le moindre de vos regards fait connaître à tout le monde que vous êtes une personne illustre qui possédez, comme toutes les beautés du corps et de l'âme, toutes celles de l'esprit. Aussi recevez-vous une approbation tant universelle que l'envie même n'est point assez effrontée pour oser choquer un sentiment si général et vous la forcez de faire trêves avec la vertu, elle qui ne cherche qu'à la combattre. Après cela, voyez si vous ne devez pas vous croire ce que tout le monde vous croit, et ce que véritablement vous êtes, je veux dire l'ornement de notre cour et de notre siècle. Et jugez si je ne dois pas me réjouir de votre gloire, et la publier, moi qui suis,
Mademoiselle,
Votre très humble, et très passionné serviteur,
De Scudéry.