À la reine.
Madame,
Ce misérable roi n’aurait jamais eu la hardiesse de chercher aux pieds de votre Majesté, un asile contre la persécution des Romains, si elle n’avait témoigné une bonté particulière pour lui. Et si je ne lui eusse fait espérer que non seulement une âme si royale et si généreuse ne lui refuserait point sa protection, mais que même après une infinité de malheurs, sa fortune serait enviée de ses ennemis, et que ces titres insolents de maîtres de toute la terre, qu’ils ont si iniquement usurpés, seraient moins glorieux que les siens, quand il voudrait publier l’honneur qu’il aura d’être à votre Majesté. Ma vanité n’est peut-être pas excusable dans la créance que j’ai que cette tragédie n’a point déplu à votre Majesté. Mais outre l’honneur que j’ai eu de l’entendre assez souvent de sa bouche, je puis dire sans mentir que le peu de réputation qu’elle a eue ne peut naître que de l’estime qu’elle en a faite, et qu’elle ne pouvait passer pour absolument mauvaise, après l’approbation du meilleur jugement du monde.
Et véritablement, Madame, quand j’ai considéré les raisons qui ont pu obliger la plus grande reine de la terre, à faire quelque cas d’une chose qui le méritait si peu, je n’en ai pu trouver d’autres que cette forte inclination qu’elle a pour une vertu dont elle a vu des exemples assez rares et assez mémorables dans cet ouvrage. Votre Majesté a vu les courageuses résolutions de Bérénice comme un miroir très imparfait de sa générosité admirable, et de l’horreur qu’elle a pour toute sorte de vices, et la fidélité d’Hypsicratée comme une image de cette parfaite amour qu’elle a toujours eue pour le plus grand de tous les Rois. Plût à Dieu, Madame, qu’avant le dessein de les faire paraître, j’eusse eu l’honneur que j’ai eu du depuis. J’aurais dépeint l’une et l’autre bien plus parfaite, selon l’idée que j’en ai conçue, en considérant avec admiration toutes les actions de la plus belle vie qui fut jamais. Je ferais une faute, qui ne me serait jamais pardonnée, si, soldat ignorant comme je suis, j’en voulais parler selon mon ressentiment, qui m’est commun avec toute la France. Et je dirai seulement que toutes les louanges qu’on a données jusqu’ici, par intérêt ou par flatterie, aux plus grandes et plus parfaites personnes de la terre, non seulement se peuvent donner à votre Majesté avec beaucoup de justice, mais ne peuvent se taire sans ingratitude. Et véritablement ce royaume serait bien indigne d’une des plus rares faveurs qu’il ait jamais reçues du ciel, s’il ne la reconnaissait comme une grâce qu’il n’accorda jamais qu’à lui, et qui l’oblige à des vœux et des remerciements éternels. Parmi tant de vertus si royales et si éminentes, cette piété et cette bonté, qui après celle de Dieu, n’en eut jamais d’égale, attirent nos cœurs avec des puissances merveilleuses. Et je ne me puis figurer, que comme un songe, que celle à qui les titres de femme, sœur, fille, et nièce des premiers monarques de la terre, donnent avec trop de justice, le rang de la plus grande princesse qui fut jamais, se puisse abaisser tous les jours à l’entretien de ses moindres sujets, et voir avec un visage plein de douceur et de charmes, ceux qui n’auraient aucune raison de se plaindre, quand elle ne les aurait jamais regardés. Je sais bien, Madame, que tous ceux qui jusqu’ici ont parlé des grands, en ont parlé encore plus avantageusement que je ne fais de votre Majesté, et leur ont donné pour des considérations particulières, des qualités qu’ils n’eurent jamais. Mais je n’appréhende point que votre Majesté face ce jugement de moi, et que cette profonde humilité qu’on remarque dans toutes ses actions, lui face soupçonner de flatterie des sentiments si justes. Plût à Dieu que j’eusse reçu du Ciel cette éloquence que tant d’autres en ont reçue. Et pour m’obliger toute la France, je lui donnerais le portrait de la plus parfaite reine qu’elle eut jamais. Mais puisque je ne dois point espérer cette grâce de lui, du moins le dois-je remercier le reste de mes jours de celle qu’il m’a accordée, en me faisant naître, et me permettant de vivre,
Madame,
De votre Majesté
Le très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur et sujet,
La Calprenède.