À Mademoiselle Anne-Marie Pourrat.
Ma très chère demoiselle,
Ma passion est trop glorieuse pour être secrète : si vous trouvez mauvais qu’on sache que je vous adore, préparez de bonne heure des reproches, et étudiez des injures, mais il n’est point de divinité qui s’offense de l’encens qu’on lui envoie, et le ciel n’a pas fait les foudres pour les religieux, mais pour les impies. Souffrez donc que je publie cette vérité, et que je tienne ceux qui ne vous trouveront pas adorable, après vous voir avoir vue, pour des hérétiques,ou des infidèles ; cette créance n’a point besoin d’être prêchée pour être suivie, elle s’établit assez d’elle-même, il ne faut que vous voir pour vous adorer, et je ne saurais souhaiter qu’on vous connaisse, sans craindre en même temps un rival. Vous-même, quelque achevée que soit votre vertu, je m’assure que vous n’avez pas assez de modestie pour vous voir sans vous aimer, et quand vous seriez plus enfermée que le roi des Indes, puisque vous ne pouvez être invisible à vous-même, j’aurais pour le moins une rivale, mais je souffre cette concurrence sans jalousie, et j’aime également ma rivale et ma maîtresse, puisque vous êtes l’une et l’autre. Je commence mes hommages par le mauvais présent que je vous envoie de ma Clorinde ; si vous y trouvez quelque chose qui vous agrée, venez me le dire à Paris, où vous êtes impatiemment attendue de cent serviteurs, et d’autant de compagnes, ou si vos affaires ne vous le permettent pas, trouvez bon que j’aille à Ivry baiser vos belles mains, et jurer dessus que je suis de toute mon âme,
Ma très chère demoiselle,
Votre très humble, et très passionné serviteur,
Rotrou.