Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>Arlette</em> Basire, Gervais (15..-1649) 1638 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1638_basire_arlette 1638 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
<a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb39325342h" target="_blank" rel="noreferrer noopener">Arsenal 8-BL-14590</a>
Français

À très illustre et très vertueuse princesse Madame Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse.

Madame,

Il y a longtemps que cette bergère Arlette attendait le jour qu’elle devait paraître sur un théâtre, et si son action lui succède heureusement, elle aura sujet d’accuser la paresse de son auteur : le loisir ne lui a pas manqué pour lui donner autant d’embellissement que la curiosité du siècle où nous vivons, et que l’ornement de la langue que l’on parle à la cour, requiert des poètes et des orateurs. Si mes travaux y ont été épargnés, c’est ma nonchalance ; si je ne l’ai pu, c’est mon défaut ; ma naissance a de si peu devancé la sienne, et mes fureurs ses conceptions, que le jugement lequel ordinairement leur succède n’aura eu que trop de loisir de retrancher ou ajouter ce qu’elle avait de superflu ou de nécessaire. Il faut avouer que les transports et ravissements d’esprit, qui sont destitués de jugement, peuvent étonner les simples, mais non pas contenter l’attente des sages, et qu’en pareil  le jugement sans les fureurs est un style trop froid, et qui ressemble à la mer pacifique, sur laquelle les vaisseaux ne voguent que par la force des vents, et par la violence des rames. Et faut aussi confesser que les muses ressemblent aux femmes, et que comme elles sont filles, aussi n’aiment-elles que les jeunes. Cette pièce est une action de jeunesse, et ne se pouvant rendre agréable qu’à quelque jeune dame, j’ai recherché celle laquelle, outre cette qualité, eût celle de la prudence, et de l’honnêteté : ce sont les deux parties qui l’accompagnent, et par le moyen desquelles elle arrive finalement au comble de son bonheur. Et il y eût eu du manquement en sa félicité, si elle n’eût rencontré une princesse, qui par éminence n’eût pas eu ces deux belles vertus. J’y passe sous silence une infinité d’autres, qui vous font paraître entre toutes les princesses de ce temps comme le soleil entre toutes les étoiles, comme en pareil la grandeur de votre illustre maison, pour vous dire qu’ayant donné il y a plusieurs années une œuvre intitulée La Bergère de la Palestine à Monseigneur le duc de Chevreuse, qui pour lors portait la qualité de prince de Joinville, il fallait que, comme il avait eu la bergère d’un royaume dont ses prédécesseurs ont porté la couronne il y a plus de six cents ans, je vous adressasse cette autre bergère, qui représente ses pensées en langage du pays où Dieu vous a fait naître. Il me reste à vous supplier que daigniez la regarder d’aussi bénin aspect que vous faites les vers des beaux esprits de ce temps. Tout le monde croit que notre langue est montée au période de sa beauté, et que désormais nous n’avons rien à craindre, sinon qu’à force de la vouloir rendre plus belle, elle ne devienne fardée, et que pour en rechercher trop curieusement les délices, nous ne lui ôtions sa pureté. On a remarqué qu’alors que le père de l’éloquence latine, et le prince de Mantoue mirent la leur en la perfection où nous la voyons, ils furent suivis, mais non pas imités par d’autres esprits, qui se départant du style d’écrire, ne les purent imiter : tellement qu’après seize siècles, la palme est demeurée aux premiers. Et je me suis toujours persuadé que c’était une marque de la corruption de notre âge, et une présomption qui passait au-delà de toute insolence, de vouloir autoriser ses œuvres par la censure de celles d’autrui, et de ne déférer pas à la juste postérité, qui seule en sera l’arbitre à juger qui seront ceux qui vivront après leur mort, ou qui mourront devant leurs ouvrages. C’est à quoi se doit réserver la prudence de ceux qui font profession de donner leurs écrits au public, aussi bien la plus grande partie de nos conceptions, qui servent d’admiration aux simples, et de divertissement aux sages, ne sont que folies et vanités. La seule connaissance de Dieu et son amour sont l’unique but où doivent aspirer tous nos désirs. Je le supplie,

Madame,

Qu’il vous conserve les saintes grâces.

Votre très humble, très obéissant, et très affectionné serviteur,

De Basire.