À très illustre et très vertueuse princesse Madame Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse.
Madame,
Il y a longtemps que cette bergère Arlette attendait le jour qu’elle devait paraître sur un théâtre, et si son action lui succède heureusement, elle aura sujet d’accuser la paresse de son auteur : le loisir ne lui a pas manqué pour lui donner autant d’embellissement que la curiosité du siècle où nous vivons, et que l’ornement de la langue que l’on parle à la cour, requiert des poètes et des orateurs. Si mes travaux y ont été épargnés, c’est ma nonchalance ; si je ne l’ai pu, c’est mon défaut ; ma naissance a de si peu devancé la sienne, et mes fureurs ses conceptions, La Bergère de la Palestine à Monseigneur le duc de Chevreuse, qui pour lors portait la qualité de prince de Joinville, il fallait que, comme il avait eu la bergère d’un royaume dont ses prédécesseurs ont porté la couronne il y a plus de six cents ans, je vous adressasse cette autre bergère, qui représente ses pensées en langage du pays où Dieu vous a fait naître. Il me reste à vous supplier que daigniez la regarder d’aussi bénin aspect que vous faites les vers des beaux esprits de ce temps. Tout le monde croit que notre langue est montée au période de sa beauté, et que désormais nous n’avons rien à craindre, sinon qu’à force de la vouloir rendre plus belle, elle ne devienne fardée, et que pour en rechercher trop curieusement les délices, nous ne lui ôtions sa pureté. On a remarqué qu’alors que le père de l’éloquence latine, et le prince de Mantoue mirent la leur en la perfection où nous la voyons, ils furent suivis, mais non pas imités par d’autres esprits, qui se départant du style d’écrire, ne les purent imiter : tellement qu’après seize siècles, la palme est demeurée aux premiers. Et je me suis toujours persuadé que c’était une marque de la corruption de notre âge, et une présomption qui passait au-delà
Madame,
Qu’il vous conserve les saintes grâces.
Votre très humble, très obéissant, et très affectionné serviteur,
De Basire.