À la reine.
Madame,
Je n’aurais jamais eu l’audace d’offrir ce poème à Votre Majesté si je n’avais appris qu’il a eu l’honneur de lui plaire, toutes les fois qu’on l’a représenté devant elle. Il est bien vrai qu’en cela, ma joie n’est pas sans quelque crainte, parce que je n’ignore point aussi, que sa bonté lui a fait souvent approuver en apparence, ce que son jugement condamne en effet. Mais enfin, Madame, soit que j’éprouve en cette aventure, ou votre justice ou votre clémence, je les tiens également glorieuses, et pourvu que Votre Majesté connaisse mon zèle comme mon ouvrage, j’espère que la perfection de l’un, lui fera supporter les défauts de l’autre. Je dis les défauts, Madame, pour les vers qui partent de moi, car pour le sujet, Votre Majesté sait bien que Cervantès n’en a pas fait de mauvais. Cet auteur était véritablement, un des plus beaux esprits de toute l’Espagne, et si ceux de sa nation disent Es de Lope, quand ils veulent donner la plus haute louange à quelque ouvrage de poésie, je pense que pour la prose, ils peuvent dire Es de Cervantes, avec autant de raison. C’est donc mon Amant libéral, Madame, qui se jette aux pieds de Votre Majesté pour lui demander sa protection. Je prévois qu’il en aura besoin, et que tout français qu’il est maintenant, il se trouvera des gens, qui l’attaqueront en ennemi. Mais Madame, empêchez s’il vous plaît, que leur fureur ne mette en pièces ce pauvre Sicilien, et faites qu’on le traite au moins en prisonnier de guerre, puisqu’il est trop libéral pour ne payer pas bien sa rançon. Il s’en acquittera, Madame, en publiant par tout le monde, que les couronnes que vous portez ne sont pas vos plus beaux ornements. Il dira que ces grands monarques dont vous êtes digne femme, et digne sœur, n’ont pas tant de sujets, que vous avez de vertus : et que soit pour les beautés de l’âme, ou pour les grâces du corps, notre siècle n’a rien qui vous égale. En effet, Madame, comme en la musique, l’harmonie se compose de parties absolument différentes, la douceur et la majesté font un si divin mélange sur votre visage qu’il n’est point d’âme qui n’en soit ravie. L’Histoire nous parle comme d’un miracle, de cette illustre et vaillante fille, qui connut d’abord le roi Charles VII, caché dans la foule de ses courtisans, et sans aucune marque de royauté, bien qu’elle ne l’eût jamais vu. Mais il n’est pas besoin d’une révélation pour vous connaître, vous paraissez par tout ce que vous êtes ; la splendeur et la majesté vous sont naturelles : vous n’empruntez rien du dais, ni du trône, et quelque peu d’éclat qui parût en vos habits comme en votre suite, un étranger ne demanderait jamais : « où est la reine ? ». Aussi, tous les peuples sur qui vous régnez ne désiraient plus rien en vous que la qualité de mère : vos vœux, Madame, étaient les nôtres, et le Ciel les a vues si justes qu’il n’a pu les refuser. Ce sera ce dauphin que nous attendons qui calmera les tempêtes, bien plus véritablement que l’Alcyon, et qui rétablira par toute la terre, la paix et la tranquillité. La France bénissait autrefois la Castille, pour lui avoir donné Blanche, mère de notre saint Louis, et bientôt nos haines étant apaisées, elle lui rendra grâce de nous avoir donné l’incomparable Anne, femme de l’invincible Louis le Juste.
Et si l’Art d’Apollon n’est faux,
À prévoir les choses futures,
Mère d’un prince encor, dont les fameux travaux,
Et les illustres aventures,
Élèveront la gloire, au superbe sommet,
Où la vertu la met.
C’est ce que prédit, et ce que désire,
Madame,
De Votre Majesté,
Le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur et sujet,
De Scudéry.