Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>Le Comte d'Essex</em> La Calprenède, Gautier de Coste, sieur de (1609?-1663) 1639 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1639_calprenede_comte-essex 1639 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
<a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72309t" target="_blank" rel="noreferrer noopener">Gallica</a>
Français

À Madame, Madame la princesse de Guéméné.

Madame,

J’offre une excellente reine à une excellente princesse, et quoique sa mémoire soit en quelque horreur parmi nous, elle est en telle vénération parmi beaucoup d’autres qu’elle passe dans leur esprit pour la plus grande princesse qui fût jamais. Je n’ai pas entrepris de la louer devant vous, de qui la vertu efface tout ce qu’elle eut de bon, et déteste ce qu’elle eut de mauvais. Et je veux encore moins justifier des actions que ses raisons d’État peuvent rendre excusables dans les esprits d’Hérode et de Tibère. Mais je dirai seulement que si le Ciel eût ajouté à ses bonnes qualités une partie des vôtres, il en eut fait son chef-d’œuvre, et que s’il l’eût pourvue des beautés de l’âme et du corps que vous possédez avec tant d’avantage, notre comte n’eût pas été ingrat aux preuves qu’il avait reçues de son amitié. Aussi l’emportez-vous sur elle en tant de façons qu’il est impossible que ses partisans vous le contestent avec quelque apparence de raison. Sa naissance eut des tâches, et la vôtre n’a que des marques très illustres, et si sa fortune qui la fit régner sur quelques îles ne vous a point donné les couronnes que ceux de votre maison ont portées, le mérite vous a acquis un empire si beau et si absolu sur toutes les âmes que les plus rebelles ne feront jamais aucun effort pour s’en affranchir. En cela, Madame, je parle véritablement sans flatterie, et j’ai trouvé les sentiments de toutes les personnes que j’ai pratiquées si conformes aux miens que ce serait une injustice de les taire, et un crime de vous ôter ce qui vous est si légitimement dû, par un aveu général. Le rang que vous tenez, et la gravité que votre naissance semble exiger de vous, ne vous ont jamais dispensée des hommages qu’on doit à la vertu ; vous avez témoigné la vôtre par l’estime que vous avez faite de celle des autres, et tous ceux en qui vous en avez reconnu ont ressenti les effets de votre bonté et de cette sympathie. Bien que je ne sois pas de ce nombre, et que je n’en aie jamais senti en moi que par cette forte inclination qui me fit adorer la vôtre, je n’ai pas laissé de participer à la fortune des autres, et j’ai trouvé de véritables récompenses dans ma propre satisfaction, et dans l’avantage de toutes les personnes de mérite. Ce n’est pas que je me défende de beaucoup d’autres obligations que je vous ai. Ce fut à vos pieds que je trouvai mon premier asile, et vous eûtes la bonté d’appuyer les commencements d’un jeune cadet sortant des gardes encore chancelant et faible de sa famine d’Allemagne, vous lui donnâtes un courage qu’il n’avait point reçu de son naturel, et le fîtes enhardir à des choses auxquelles, s’il a mal réussi, à tout le moins a-t-il la gloire de vous avoir donné des marques de son obéissance. Permettez-moi de vous dire que c’est tout le fruit que j’en ai recueilli, et que hormis l’honneur que j’ai de vous plaire, cet amusement m’a été nuisible en toutes façons ; je suis tombé dans le malheur du siècle, et dans l’esprit même de ceux qui dispensent les bonnes et mauvaises fortunes, j’ai peut-être passé pour incapable des choses ordinaires, parce que j’étais capable de quelque chose d’extraordinaire à ceux de ma profession. Je ne me plains pas toutefois d’avoir suivi les mouvements que vous me donnâtes, bien que j’eusse semé dans une terre ingrate, je suis trop satisfait de vous avoir divertie quelques heures, et d’avoir trouvé l’occasion de vous assurer ici avec quel zèle je serai toute ma vie,

Madame,

Votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur,

La Calprenède.