Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>Les Deux Pucelles</em> Rotrou, Jean de (1609-1650) 1639 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1639_rotrou_deux-pucelles 1639 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À Mademoiselle de Longueville.

Mademoiselle,

Il est impossible, qu’étant très humble sujet, comme je suis, de la maison de Soissons, et qu’ayant particulièrement admiré, en cette illustre famille, toutes les vertus, et tous les mérites qu’on peut souhaiter en de grands princes, et que de grandes princesses peuvent posséder. Il est impossible (dis-je) qu’en un ciel, éclairé de tant d’astres, je n’aie découvert la nouvelle étoile, dont les rayons sont déjà si brillants, et qui nous promet tant d’heureuses influences, c’est de vous, Mademoiselle, que j’ose parler qui rendez à douze ans, de si visibles témoignages, et de votre noble naissance, et de votre bonne nourriture, que les grandes promesses que vous donnez, ne sont plus incertaines, et que nous pouvons dès à présent établir un solide jugement de votre vie, et croire que vous hériterez aussi parfaitement des vertus de votre maison, que de ses grandeurs, et de ses richesses. En effet, on voit rarement en un âge qui commence une sagesse achevée, comme la vôtre, et quand j’ai eu l’honneur de vous faire la révérence, quelque profond respect que m’ordonnât votre qualité, j’avoue que cette douce modestie, et cette honnête gravité qui ne vous quitte point, m’en imposèrent encore davantage, et que je crus voir Madame la comtesse votre mère, sous le visage de sa petite fille. J’oserai bien dire, Mademoiselle, sans crainte de vous déplaire, qu’en cela, les mérites que vous possédez, sont moins admirables, qu’il semble que vous ne pouviez descendre d’elle, et ne les possédez pas, puisqu’en effet, c’est sur cette généreuse princesse, que toute l’Europe jette aujourd’hui les yeux, comme sur la plus grande merveille de notre siècle et qui sait le plus dignement, et le plus noblement soutenir la grandeur de sa condition, et la noblesse de son sang. On ne peut avoir l’honneur de la voir avec tant de majesté, sans juger que l’intention de la nature était d’en faire une reine, et que la seule envie de la fortune, lui a dénié cette qualité. C’est d’elle que nous tenons ce grand prince, qui s’est mis si haut dans l’estime de la France, et c’était d’elle que nous était née cette pieuse, et sage duchesse, que le ciel lui a laissée en vous, quand il lui a plu d’en disposer. Pardonnez-moi, donc, Mademoiselle, si je considère votre mérite, comme un bien que vous n’avez pas acquis, et qui vous était infaillible, dès auparavant que vous fûtes au monde. Les biens que vous pourrez désormais appeler vôtres, seront les conquêtes que vous allez faire, puisqu’il est certain, que vous allez acquérir autant de serviteurs, que vous daignerez regarder de princes, et que les ornements de votre visage, aussi bien que vos autres qualités, vont être l’estime, et la passion de tout un royaume. Pour n’être pas des derniers à vous rendre mes hommages, j’ose vous prier, Mademoiselle, de souffrir que votre nom serve à la recommandation de cet ouvrage, où je m’assure que vous vous divertirez aussi agréablement qu’en ceux que vous avez eu la bonté de m’entendre lire, dans le cabinet de Madame la comtesse votre mère, où votre attention m’a fait juger du plaisir, que vous y preniez. Je serai trop satisfait de mon travail, s’il a le bonheur de ne vous déplaire pas, et je sortirai de chez vous, le plus glorieux de tous les hommes, si vous me permettez d’en emporter la qualité de,

Mademoiselle,

Votre très humble, et très obéissant serviteur.

Rotrou.