À Mademoiselle, Mademoiselle de Vertus.
Mademoiselle,
Vous allez apprendre une ambition, et une témérité, que vous aurez de la peine à croire, c’est la passion que j’ai de vous faire la révérence et de me présenter devant une des merveilles les plus achevées de notre siècle. C’est mal observer ce que ce j’ai plusieurs fois éprouvé, qu’il y a peu de personnes à qui il soit à propos de le montrer, et à l’estime de qui il ne nuise de se faire connaître ; si la nature m’a mis en l’extérieur cette éloquence muette, et ce commencement de persuasion, qui donne d’abord une belle impression de soi, il est dangereux de paraître devant celles qui vous ressemblent, et la présence hasarde extrêmement la réputation. La prison se devrait garder, aussi bien pour les imperfections que pour les crimes, et pour les fautes de la nature que pour celles des mœurs. Mais quoi qu’il en soit, il m’est impossible, Mademoiselle, de me tenir plus longtemps caché, et puisque je ne puis avoir l’honneur de vous voir sans me montrer, je me résous plutôt à perdre le peu d’estime que mes ouvrages vous ont peut-être donné de moi, que le bonheur d’admirer un moment en vous les merveilles que j’en ai entendues. Votre maison a cet avantage sur toutes les autres de ne produire point de petits miracles : tous les rameaux y sont dignes de leur tige. Et comme vous êtes née d’un mère, en qui la plus sévère censure n’eût su trouver de défaut, elle a porté des filles en qui il n’y a rien ni à reprendre ni à excuser, et n’a mis que des soleils au jour. Il semblait qu’elle eût suffisamment satisfait à la nature pour que les faveurs particulières qu’elle en avait reçues, en mettant au monde cette belle duchesse, qui passe dans l’estime de toute l’Europe pour l’un des plus rares ornements de notre cour, qui a causé autant de jalousies qu’elle a vu de femmes, et fait autant d’autant d’innocents homicides qu’elle a regardé d’hommes, il semblait, dis-je, que celle qui nous l’avait donnée ne nous devait plus cette seconde merveille qui l’a suivie, et qui l’empêche d’être incomparable. C’est avoir payé avec usure les grâces dont le Ciel l’avait ornée, et lui avoir rendu deux fois ce qu’elle n’en avait reçu qu’une. En effet, Mademoiselle, votre modestie ne se doit point offenser de ce mauvais compliment, et tout le monde est d’accord que vous êtes, entre les filles, ce que Madame votre sœur est entre les femmes, c’est-à-dire, l’une et l’autre, la gloire de votre sexe, la confusion du nôtre, et l’admiration de tous les deux. J’espère que mes yeux me confirmeront cette vérité, et que si j’ai l’honneur de vous saluer, je verrai ce que j’ai entendu. Mais pour vous être présenté, j’ai besoin d’une personne en faveur de qui cette grâce me soit accordée, et après l’avoir cherchée longtemps, j’ai cru que Laure aurait ce crédit auprès de vous, et que vous l’estimeriez assez pour lui ouvrir votre cabinet. Si elle m’obtient l’honneur de vous rendre mes très humbles soumissions, elle ne fera pas une chose ordinaire, et l’on pourra dire d’elle que l’ouvrage aura présenté son auteur. C’est le fruit que j’attends de l’avoir produite, et celui que je prétends de vous l’avoir donnée, est la permission de me dire,
Mademoiselle,
Votre très humble, et très obéissant serviteur,
Rotrou.