Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>L'Illustre Corsaire</em> Mairet, Jean (1604-1686) 1640 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1640_mairet_illustre-corsaire_dedicace 1640 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À Madame, Madame la duchesse d’Aiguillon.

Madame,

Il est constant que je vous ai des obligations infinies, et constant aussi que votre mérite est infiniment au-dessus de tous les éloges que lui pourrait donner une plume comme la mienne : l’une et l’autre de ces vérités connues vous doit faire croire aisément que, dans la liberté que je prends de vous adresser cette épître, je recherche bien moins la gloire de vous louer que je n’évite la honte d’être blâmé d’ingratitude. Quoiqu’à dire vrai, si j’en avais à recevoir le reproche, je l’attendrais plutôt de la bouche de mes ennemis, que de celle de votre grandeur, tant pour ce que sa vertu ne fut jamais sollicitée par ces lâches motifs d’intérêt ou de vanité qui font agir la plupart de ceux qui sont en puissance d’obliger, que pour ce qu’il lui souvient rarement des grâces qu’elle a conférées, soit que la quantité ne lui permette pas d’en tenir compte, ou soit par un talent de mémoire tout particulier, laquelle ne lui manque jamais aux moindres occasions de faire du bien, et qui semble s’évanouir immédiatement après le bienfait. Plût à Dieu, Madame, que les puissances de mon esprit fussent d’aussi grandes étendues que celles de ma volonté. Il y a longtemps que des preuves extraordinaires de tous les deux ensemble vous auraient pour le moins assurée que, de toutes les qualités qui regardent les bonnes mœurs, je n’en ai point de plus entière, ni qui revienne davantage à la naturelle disposition de mon âme, que celle de la reconnaissance. Mais il est vrai que malgré les continuelles sollicitations de mon zèle et de mon devoir, j’ai toujours été retenu par la crainte de vous les témoigner de mauvaise grâce, estimant qu’en matière de remerciements et de louanges, un silence respectueux sied beaucoup mieux qu’un panégyrique imparfait, et qu’une action de grâces qui n’est pas bien proportionnée à la grandeur de son sujet. J’ai conçu néanmoins et disposé le dessein d’une occupation d’esprit aussi considérable pour la noblesse de sa matière que pour la longueur de son travail. C’est là que ma muse s’efforcera de tout son pouvoir de reconnaître comme elle doit la générosité de ceux qui l’ont obligée, et que, par une raisonnable différence des bienfaiteurs et des bienfaits, elle aura soin de relever avec ordre et mesure le mérite des uns et des autres. Jugez, Madame, si le rang que vous tenez en son estime ne lui doit pas être une règle, comme à vous une assurance, de celui qu’elle vous donnera dans son ouvrage. En attendant trouvez bon, s’il vous plaît, qu’elle vous présente celui-ci, qui fut assez heureux pour paraître à Ruel avec une particulière approbation de son Éminence. Je mets plutôt cette circonstance pour lui donner quelque recommandation auprès de votre esprit que pour satisfaire à la vanité du mien. Il est vrai que si quelque chose me pouvait rendre vain jusques à l’excès, ce serait infailliblement l’estime d’un si grand homme, qui m’en peut honorer quelque jour en conséquence de la vôtre, mais c’est un bien où je n’oserais jamais prétendre, puisqu’il faudrait nécessairement le mériter ; il me suffira donc de ceux que l’on peut acquérir à force de les souhaiter et de les demander ardemment. C’est en ce rang que je mets l’honneur de votre bienveillance, et la permission de me dire avec respect,

Madame,

De votre Grandeur,

Le très humble, très obéissant et très obligé serviteur,

Mairet.