À Madame, Madame la duchesse d’Aiguillon.
Madame,
Si Marguerite de France voit une seconde fois la lumière, c’est à vous à qui elle en a l’obligation, c’est par votre commandement qu’elle sort du tombeau, et que les muses la font revivre. Les traverses et les disgrâces de sa première vie lui auraient justement fait appréhender de revoir le monde, si je ne lui eusse fait espérer que vous lui serviriez d’asile, et que vous ne l’abandonneriez pas après l’avoir fait naître. Elle n’aura rien à craindre si vous devenez sa protectrice ; personne n’osera l’attaquer et son père se sera pas en peine de prendre les armes pour sa défense. Elle eut autrefois assez de force toute seule pour vaincre la fortune, mais à présent elle reconnaît sa faiblesse, et confesse qu’elle a besoin de votre secours. Elle est si généreuse qu’elle rougirait de demander de l’assistance à une autre, mais elle sait qu’il n’y a point de honte d’implorer celle de la vertu. Si vous considérez, Madame, la personne qui vous parle, vous trouverez qu’elle est digne de la faveur qu’elle vous demande : bien qu’elle compte plusieurs rois dans sa race, la grandeur de sa naissance est ce qui est de moins grand en elle, et son rang est beaucoup au-dessous de ses perfections. Elle a les grâces du corps avec les avantages de l’esprit, mais quelque rares qualités qu’elle possède, elle ne laisse pas d’être votre inférieure, et tout ce que l’on admire en elle n’est que l’ombre de ce que l’on voit reluire en vous. C’est avec grande raison, Madame, que chacun vous contemple comme un miracle de la nature et comme un chef-d’œuvre de la sagesse : la fortune qui est son esclave, est aussi la vôtre, et l’envie même se tait en votre faveur pour laisser parler la renommée. Elle dit de vous ce qu’elle n’a jamais dit de personne, et publie hautement que vous êtes parfaite. Toutes vos actions sont des preuves de cette vérité, et par vos hautes vertus, vous montrez bien que vous êtes digne nièce du grand cardinal de Richelieu, de qui la vie donnera de l’étonnement à la postérité, qui fait voir un héros en notre siècle, qui n’a point eu son semblable dans les siècles passés, et dont les poètes mêmes ne nous ont pas laissé l’idée. Mais il ne m’appartient pas de parler d’un sujet qui est au-dessus des plus sublimes pensées et des plus riches expressions, non plus que de vous, Madame : ma raison se perdrait parmi des lumières si éclatantes. Souffrez donc que mes respects et mon silence me tiennent lieu d’éloquence et d’esprit, et que ne pouvant parler dignement de vous, il me soit permis au moins de vous admirer et de me dire,
Madame,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
G. G.