À Madame, Madame la duchesse d’Aiguillon.
Madame,
J’ai si fort épuré cet ouvrage, avant que vous le présenter, que vous n’y trouverez rien de profane. C’est une histoire où la constance et la foi triomphent également, et si la tyrannie d’un prince amoureux la rend toute funeste, vous n’y verrez que des martyrs. Mais je suis fort aise qu’elle me serve d’occasion à faire voir au public que je sais subir avec toute sorte de respect la loi de ses oracles, lorsqu’ils publient par toute la terre que vous en êtes un des plus riches ornements. Il est vrai, Madame, que la renommée m’a appris qu’encore que la fortune vous ait fait présent de toutes ses faveurs, elle ne vous a rien donné qui soit digne de votre mérite, comme étant élevé à une si haute estime parmi celles de votre sexe que les plus ambitieuses d’honneur n’aspirent qu’à celui de vous pouvoir imiter pour se rendre accomplies en toutes choses. Et comme cette gloire que vous possédez ne rejaillit à plein sur vous que par le mépris que vous en faites, votre humilité aujourd’hui est le plus superbe de vos titres, puisqu’elle vous fait régner absolument dans les cœurs, où la puissance et la tyrannie n’ont jamais pu établir leur empire. Que la nature ait rendu illustre votre berceau, c’est un avantage que beaucoup d’autres peuvent partager avec vous, mais que le Ciel vous ait fait naître en terre, pour y être un continuel objet d’admiration à tout le monde, fors qu’à vous seule, c’est une grâce si particulière qu’elle ne vous est commune qu’avec le soleil. En effet, Madame, quand je considère que votre grandeur et votre beauté, que votre esprit et votre vertu cherchent inutilement leur exemple, et que dans ce comble d’honneur et de félicité où je vous vois élevée, vous vous rabaissez jusques au point d’être insensible, et à l’un et à l’autre, comme si vous ne saviez pas encore qui vous êtes, je ne m’étonne pas si les termes me manquent pour vous louer dignement, puisque cette sorte de perfection est plus divine que mortelle. Voilà les vérités, Madame, que j’ai apprises en divers lieux, et en diverses sortes de langues, sans avoir l’honneur d’être connu de vous, et comme cette voix publique remplit tout, de même que l’air qui l’anime, je ne suis que l’écho de son raisonnement. Ce qui m’oblige de dire encore après elle, que je dois être toute ma vie,
Madame,
Votre très humble, et très obéissant serviteur,
Puget de la Serre.