À Mademoiselle de Longueville.

Mademoiselle,

Je m’étonne moi-même de ma hardiesse et, quelque longue réflexion que j’aie pu faire sur ce que j’entreprends, mon dessein me donne de l’épouvante et ma liberté me fait peur. J’ose ce que personne n’avait encore jusqu'ici osé. J’intéresse votre nom puissant à la protection d’une faible chose. Et j’en fais un asile à la présomption et aux défauts de cet ouvrage. Mais le souvenir de la bonté que vous n’avez pas déniée à ce poème naissant, et ces excès de courtoisie qui vous arrachèrent des louanges en sa faveur, autorisent ici ma faute, portent ma volonté contre la raison, prennent le parti de la mémoire, condamnent le jugement, et me partagent contre moi-même. Je sais bien, Mademoiselle, ce que j’aurais à faire s’il ne s’agissait que de mes désordres intérieurs, et si le profond respect, dont j’accompagne un souvenir si avantageux pour moi, ne s’était impérieusement rendu maître de mes irrésolutions. Mais j’ai cru, Mademoiselle, qu’il n’était pas honteux à votre grandeur de se voir sollicitée des mêmes requêtes que l’on adresserait à Dieu, et de la conjurer de finir mon anéantissement et de me faire sa créature. C’est un pouvoir que le Ciel n’a commis qu’aux maîtres de la terre et, comme parmi ces illustres personnes, il n’y en a point qui vous surpasse en naissance et en mérite, peu qui vous égalent en l’un et en l’autre, et beaucoup qui ne vous cèdent en tous les deux, j’ai pensé, Mademoiselle, que vous êtes trop généreuse pour refuser l’hommage que je rends à vos éminentes vertus, et pour n’agréer pas que mes véritables soumissions vous assurent que je suis plus que tout le monde ensemble,

Mademoiselle,

Votre très humble, très obéissant et très fidèle serviteur,

Le Vert.