À Madame la comtesse d'Harcourt.
Madame,
Si c’était ici cette Didon fabuleuse que Virgile a si mal traitée, que, pour la déshonorer en beaux termes, il a bien voulu confondre les temps et se mécompter de trois cens années, quoique je connaisse évidemment l’injustice de son accusation et que dans toutes les histoires je la trouve aussi innocente qu’elle était belle, ne croyez pas, s’il vous plaît, que je vous l’eusse présentée, ni qu’elle eût osé sous ma conduite vous aborder avec un soupçon de crime, de crainte d’offenser la pureté de votre vertu. C’est, Madame, la véritable Didon que je vous présente, cette Didon chaste et généreuse qui, dans les violentes recherches du plus puissant roi d’Afrique, aima mieux se donner la mort que de manquer à la fidélité qu’elle avait promise aux cendres de son époux. C’est en un mot la vertu que je présente à la vertu même. Et certainement, Madame, celle que cette grande reine a si hautement pratiquée me semble si digne de l’honneur de votre protection que, si vous daignez la regarder d’un œil favorable, je ne doute point que vous ne confondiez en un moment l’erreur et la calomnie de plusieurs siècles, et qu’aujourd’hui, vous ne la rétablissiez pleinement en tous ses honneurs. Recevez-la donc, Madame, avec autant de bonté qu’elle vous témoigne de confiance, soutenez hardiment son innocence opprimée, protégez-la hautement, puisqu’il est constant qu’elle n’a rien fait qui la rende indigne de l’honneur de vos bonnes grâces, et s’il est même besoin d’employer en sa faveur ce généreux conquérant dont vous faites l’illustre moitié, ne craignez pas de la mettre au rang des princesses affligées qu’il a si glorieusement secourues. Je confesse, Madame, qu’elle vous est recommandée par un malheureux qui n’a pas moins besoin qu’elle de l’honneur de votre appui, et qui n’a pas été plus favorablement traité de la calomnie, mais que cette considération n’arrête pas votre charité généreuse, vous nous pouvez sauver l’un et l’autre par un même trait de bonté, vous pouvez mettre aisément à couvert sous une même protection l’auteur et l’ouvrage tout ensemble. Comme il est impossible que Didon soit jamais soupçonnée d’impudicité quand on saura que vous l’avez bien reçue, et que vous avez souffert qu’elle mît son honneur entre vos mains. Je ne crois pas que la médisance et l’envie qui m’ont si cruellement déchiré jusques ici s’osent désormais attaquer à moi quand on connaîtra que j’ai quelque part à l’honneur de votre bienveillance, et que je suis véritablement,
Madame,
Votre très humble, et très obéissant serviteur,
Boisrobert, abbé de Châtillon.