Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>Téléphonte</em> Gilbert, Gabriel (1620?-1680?) 1643 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1643_gilbert_telephonte 1643 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À Madame, Madame la duchesse d’Aiguillon.

Madame,

Quoique je doutasse du succès de cette pièce, sitôt que j’appris que vous l’aviez choisie pour une assemblée solennelle, je commençai d’en espérer beaucoup. Je crus qu’elle emprunterait un grand éclat de votre présence, et que sa destinée serait heureuse, puisque vous preniez le soin de la faire. Je ne fus point trompé dans mon attente, et l’estime que vous en fîtes fut suivie de celle de toutes les personnes judicieuses ; elles défèrent tant à votre jugement qu’elles croient que leur opinion n’est jamais si saine que lorsqu’elle est conforme à la vôtre. Ainsi, Madame, en pensant me donner une approbation particulière, vous m’en avez donné une générale. Mais je suis contraint d’avouer que mon ouvrage doit tout son lustre à vos louanges, et non pas à son mérite, et que la réputation qu’il a eue est plutôt une marque de votre faveur qu’une preuve de mon esprit. Il est vrai, Madame, que cette pièce n’est pas entièrement défectueuse, qu’elle a quelque chose non seulement de beau, mais aussi d’éclatant, et que si la richesse de la forme eût répondu à celle de la matière, elle aurait pu passer pour un chef-d’œuvre. On dit qu’un des plus fameux poètes de l’Antiquité a travaillé autrefois sur ce sujet, et le plus savant des philosophes en parle comme d’un exemple de perfection. Mais cette tragédie n’est point parvenue jusques à nous, et le temps qui ne respecte pas les plus beaux ouvrages nous a ravi celui-ci. Il nous en est pourtant resté quelque chose, et l’Histoire ancienne qui en a conservé la meilleure partie m’a fourni la matière de ce poème. C’est elle, Madame, que vous avez admirée, et non pas la faiblesse de mes pensées, et par une grâce particulière, vous n’avez pas voulu distinguer l’un de l’autre, ni séparer mes défauts des vertus d’autrui. Vous n’avez pas voulu parler de la rudesse de mon style, mais de la beauté de l’invention, et ce ne sont pas mes vers que vous avez loués, mais le courage de Mérope et la constance de Philoclée. Vous ne seriez pas équitable comme vous êtes, Madame, si vous n’eussiez hautement loué ces deux grandes princesses, puisque toutes leurs actions ne sont qu’un portrait de votre vie héroïque. Les vertus qui brillaient autrefois en elles reluisent maintenant en vous ; comme elles vous les faites éclater en tous lieux, et comme elles, vous trouvez dans votre race un héros qui, comme un autre Téléphonte, est l’ornement de son siècle et la gloire de sa patrie. Quelque accomplies que soient ces deux illustres Grecques, il faut toutefois qu’elles vous cèdent, et vos vertus sont autant au-dessus des leurs que les vertus chrétiennes sont au-dessus des vertus morales. J’ai parlé de leurs perfections, mais je ne suis pas capable de parler des vôtres. Elles jettent une si grande lumière qu’elle m’éblouit. Mais en m’empêchant de les contempler, elle ne m’empêche pourtant pas de les connaître. Je me dois arrêter à cette connaissance, sans en discourir, et sans entreprendre une chose qui serait au-dessus de mes forces. J’aime mieux faire voir mon respect par mon silence que mon insuffisance par mes paroles. Et afin de ne passer pas pour un ingrat après les grâces dont je vous suis redevable, j’ai voulu seulement vous faire paraître le ressentiment que j’en ai, et combien je m’estime heureux de ce que ce même ouvrage qui vous a donné occasion de me témoigner votre bonté me donne aussi le moyen de la publier partout, et de me dire,

Madame,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

G. G.