À très belle, très vertueuse, et très illustre personne, Mademoiselle Marie de Hautefort, dame d’atour de la reine régente.
Madame,
Bien que les bonnes grâces de la reine du monde la plus glorieuse et la plus grande commencent de donner à votre mérite une partie de la fortune dont il est digne, et que l’établissement de la mienne soit encore assez chancelant pour avoir besoin d’un appui ferme et généreux comme le vôtre, néanmoins ce n’est nullement ici ma pensée de rechercher votre faveur par les justes louanges que je vous prépare, puisque pour en ressentir infailliblement les effets, il suffit d’être honnête malheureux et connu de vous. Non, Madame, il est très vrai qu’un motif plus noble que celui-là me fait agir en cette rencontre, et que le seul intérêt de la gloire de votre nom me le fait choisir préférablement à tout autre pour lui consacrer ce poème, le dernier des miens et le plus achevé, soit pour la forme, soit pour la matière, s’il faut s’en rapporter au jugement des plus habiles maîtres de l’art. Ce que je fais maintenant à Paris n’est seulement que la suite et l’exécution du dessein que je fis au Mans de vous adresser cet ouvrage, ce soir que l’obligeante curiosité d’en ouïr la lecture de la propre bouche de l’auteur vous y fit avoir tant de bonté que de retrancher les meilleurs heures de votre sommeil pour les donner à ce mauvais divertissement. Ce fut en ce lieu-là, qui sera sans doute longtemps célèbre, et peut-être longtemps heureux par le séjour et par les bonnes œuvres que vous y avez faites, qu’il me fut permis de remarquer plus particulièrement avec autant de plaisir que d’admiration, et la beauté de votre esprit, et la grandeur de votre courage. Après le témoignage de mes yeux et celui de la voix publique, je n’ignorais pas auparavant que vous étiez un des plus rares ornements de votre sexe, et l’objet accompli de l’amour du nôtre. Mais je n’avais point encore appris que les merveilles du dedans n’étaient pas moindres en vous que celles qui brillent au-dehors. Il ne faut que vous regarder, pour être aussitôt persuadé des perfections de votre visage, étant vrai de dire qu’on voit sortir de vos yeux des lumières et des regards qui sont autant de vérités nécessaires et convaincantes sur ce sujet. Mais pour découvrir pleinement les divines qualités de votre âme, il est important, Madame, de vous voir agir et de vous entendre. Votre dernière sortie de la cour, et le bonheur de ma constellation, m’ont donné ces deux avantages, en un temps et dans un pays où je ne pouvais rien souhaiter, ni faire de mieux que de profiter comme j’ai fait, de l’honneur de vos entretiens et de l’exemple de votre vie. J’ai plusieurs fois examiné vos actions et vos discours les plus ordinaires ; j’ai pesé jusqu’à vos paroles, mais les unes et les autres m’ont toujours semblé si justes, si propres, si relevés, en un mot, si dignes d’une personne extraordinaire,
Que j’ai conclu souvent avec la renommée,
Que la gloire du sexe est en vous consommée.
Je m’assure que vous souffrirez agréablement l’application de ces deux vers, quand vous saurez que ma muse les fit autrefois pour cette illustre Athénaïs, cette fameuse impératrice d’Orient, qui fut en son âge, comme vous êtes dans le vôtre, un miracle de vertu, d’esprit et de beauté, qui toucha sensiblement, comme vous, les vertueuses inclinations du plus grand prince de son temps, avec cette différence toutefois de son destin au vôtre, qu’elle fut assez heureuse pour rencontrer un Théodose en liberté comme en disposition se choisir une compagne à l’Empire, et dont l’estime et la passion pour elle furent alors plutôt fortifiées qu’affaiblies par les raisons d’une sage sœur, et d’un fidèle ministre tout ensemble. Or de même qu’il se trouve beaucoup de rapport entre vos excellentes qualités, on en remarque aussi beaucoup en la plupart de vos aventures. Les suites, les effets, et les circonstances de vos communes disgrâces furent quasi toutes pareilles, quoique les causes et les prétextes en aient été fort différents. On y voit cependant cela de commun que l’innocence de l’une et de l’autre ne pût être sainte à ceux même qui faisaient une profession plus ouverte de justice et de piété, mais qui d’ailleurs, n’ayant rien de plus saint ni de plus sacré que l’ambition, regardaient la faveur d’autrui la plus légitime et la plus douce comme un obstacle insupportable à la violence de la leur. Le temps de son exil fut assez long pour venir à bout d’une patience moindre que la sienne. Et toutefois, au lieu de le consommer en ces lâches plaintes et ces inutiles murmures qui soulagent la plupart de ceux qui ne seraient point malheureux si leurs ennemis n’étaient coupables, elle l’employa dans un exercice continuel de la plus sublime philosophie morale et chrétienne. L’égalité de sa constance à supporter les outrages de la terre, et celle de sa dévotion à solliciter les grâces du Ciel, donnèrent de l’admiration à tous les peuples de la Palestine qui conservèrent toujours pour elle autant d’amour et de révérence qu’ils conservent de haine et de mépris pour ses injustes persécuteurs. Ceux qui n’ignorent pas l’histoire de cette aimable reine des philosophes, et savent comme moi les plus beaux endroits de la vôtre, ne diront-ils pas que la fortune a voulu se servir et d’occasions et de matières toutes semblables pour donner un semblable exercice à la générosité de l’une et de l’autre ? Quelle tranquillité d’esprit et quelle sérénité de visage n’avez-vous pas toujours conservé durant un ostracisme de trois années, qui vous bannissait d’une demeure éclatante où vos admirables qualités étaient en leur jour et dans la bouche des plus grands princes, pour les cacher avec vous dans le silence et l’obscurité d’une province bien éloignée ? Celle du Maine, à qui le souvenir et le nom de votre illustre famille sont encore très précieux, puisqu’elle compte feu Monseigneur de la Flotte votre aïeul maternel entre ses plus dignes lieutenants de roi, a fourni de théâtre et de sujet aux dernières actions dont vous avez signalé votre vertu. C’est là que la solidité d’une dévotion qui n’a rien de triste ni d’incommode, la fréquence de vos visites aux lieux saints, l’ardeur et la tendresse de la charité qui tient vos belles mains toujours ouvertes à la nécessité des pauvres, et vos bontés à rétablir la paix entre les riches, dont la plupart vous faisaient arbitre de leurs différents, qu’ils abandonnaient volontiers à la discussion d’un jugement clair et équitable comme le vôtre ; c’est là, dis-je, que ces merveilleux avantages de la grâce et de la nature, et tant d’autres que je ne dis pas, ont également édifié l’Église et le monde, le magistrat et le peuple, et montré par l’applaudissement général de tout un pays que vous savez aussi bien vous acquérir le cœur des sujets que celui du prince qui leur commandait. Enfin, Madame, pour achever le parallèle de la fortune d’Eudoxe avec la vôtre, il est croyable que revenant à la cour, elle y fut reçue avec plus de pompe et de magnificence, mais non pas avec plus de satisfaction des gens de bien de l’un et de l’autre sexe, ni plus de témoignages d’amitié que vous l’avez été de cette auguste maîtresse, dont la chère vue faisait en vous la principale joie du retour, de même que ses afflictions avaient toujours été l’unique et véritable matière de toutes celles que vous aviez souffertes en votre exil. Ainsi, Madame, autant que le présent et le passé nous peuvent assurer de l’avenir, il est apparent qu’une si grande princesse ne perdra jamais la mémoire de vos services et de vos vertus tant qu’elle gardera la moindre teinture ou le moindre souvenir des siennes, qui grâce à Dieu ne paraîtront jamais capables d’aucuns changements, sinon de ceux qui mènent toujours du bien au mieux. C’est l’espérance et l’opinion que nous devons avoir d’une personne sacrée, en faveur de laquelle on ne saurait justement nier que la main du Ciel n’ait opéré de très grands miracles. Toute l’Europe chrétienne en attend de l’intégrité de sa vie, de la sainteté de ses mœurs, et de la sagesse de sa régence, de qui tant de peuples divers se sont déjà promis le rétablissement de la paix, cette agréable fille du Ciel, et cette douce mère du repos et de l’abondance. Pour moi, Madame, tant que vous et celles qui vous ressemblent aurez l’honneur des bonnes grâces de la reine, je ne doute point que ses rares qualités, soit acquises, soit naturelles, venant à se fortifier en son âme, et par leur propre force et par celle de ces beaux exemples domestiques, n’attirent toujours de plus en plus les faveurs du Ciel sur la mère et sur les enfants, et qu’ensuite un long fleuve de bénédictions, prenant sa source du Louvre, ne se répande finalement sur toutes les terres de la chrétienté. En attendant ce bien général qui dépend de la disposition des rois, dont le cœur est en la main de Dieu, vous ne laissez pas d’employer à la félicité des particuliers tout ce que vos services et votre charge vous ont acquis d’accès et de crédit auprès de cette royale maîtresse, de qui l’extrême bonté ne peut rien dénier aux sollicitations de la vôtre, tant vous savez bien ôter des affaires ce qu’elles pourraient avoir de difficile ou d’importun par la manière de les dire et de les traiter. De là vient qu’on voit ordinairement dans votre chambre un flux et reflux de personnes de toutes sortes de conditions, dont la moitié n’est là que pour vous demander des grâces et l’autre pour vous en rendre. Celle que vous me faites, en agréant que je tire de votre beau nom le plus durable ornement et la plus grande recommandation de mon ouvrage envers la postérité, n’est pas la moindre de tant d’autres, dont vous aviez déjà bien étroitement obligé,
Madame,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
Mairet.