Madame, vous voyez à vos pieds se lever
Un fruit que j’ai fait naître au milieu de l’hiver.
Il y a quelque mois qu’il grossit sur la branche ;
Or avant que tomber vers vos mains il se penche.
Pour mûrir il attend, non pas un beau soleil,
Mais que le receviez seulement d’un bon œil.
Ce vers attend d’avoir près de votre excellence
(Que votre humilité du terme ne s’offense)
Le bonheur et l’honneur de se voir bien reçu,
Se flattant d’être assez heureusement conçu,
Et sa flamme paraît un peu étudiée,
Afin de mériter vous être dédiée,
Outre qu’elle sait bien votre cœur ne loger,
Qu’une humeur qui se plaît de plaire et d’obliger.
Si vous ne le trouvez avoir beaucoup de grâces,
Sachez qu’on l’a vu naître au beau milieu des glaces,
Quand la morne saison de trois à quatre mois
Ravage tous les champs, accravante les bois,
Dresse dessus les eaux de bien fortes barrières,
Qui servent de grands freins aux plus grandes rivières,
Quand la terre se voit dessous un voile blanc,
Retirer pour le froid ses enfants dans son flanc ;
Lorsque le Nord en roi superbe se promène,
Et que du monde entier en fait son seul domaine.
Un vers veut des lieux cois, et une belle ardeur
Qui puisse entièrement posséder notre cœur.
Il faut que notre sang se trouve tout en flamme,
Et que vienne en effet à se piquer notre âme :
Il croît ce néanmoins (tant il se satisfait)
Que direz, le voyant, qu’il n’est point tant mal fait.
Madame, recevez cette mienne Aldegonde :
Mienne vous la venant de nouveau mettre au monde,
Mais vôtre beaucoup plus, comme de votre sang*,
De mêmes qualités, de mérite, de rang.
Et votre vie étant l’image de la sienne,
Le ciel impatient attend que le jour vienne,
Qu’il puisse être à jamais sa valeur et son prix.
Ce sont les vœux plus chers qu’en mon cœur je nourris.
Madame,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
Jean d’Ennetières de Beaumé.
* Saint Hydulphe duc de Lorraine comme cousin fut héritier de la maison de sainte Aldegonde.