Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>La Mort de Chrispe</em> L'Hermite, Tristan (1601-1655) 1645 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1645_hermite_mort-chrispe 1645 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À Madame la duchesse de Chaulnes.

Madame,

Vous avez porté si hautement cet ouvrage de théâtre, en l’honorant de votre vue et de votre estime, que sa réputation pourrait décroître s’il ne portait point votre nom. J’oserai donc vous le consacrer comme à l’astre qui, présidant à sa naissance, lui a donné par une céleste impression tout ce qu’il a de plus agréable. Certainement, Madame, s’il y a rien de délicat en cette peinture, c’est seulement aux endroits que vous avez daigné retoucher : c’est aux lieux où j’ai suivi de plus près la justesse de vos pensées.

Il faut confesser que vos sentiments sont tous pleins de lumière et de magnificence, et qu’il n’y a point de productions d’esprit si achevées à qui vous ne pussiez donner des grâces nouvelles, s’il vous plaisait de les embellir. Pour moi, Madame, dès l’instant que j’eus l’honneur de vous voir et de vous entendre parler, je me trouvai tout surpris à l’objet d’un si grand recueil de différentes beautés : je fus tout ébloui de l’éclat d’un si merveilleux chef-d’œuvre de la nature. Et vous me fîtes juger favorablement de l’opinion de ces philosophes qui veulent marier nécessairement la beauté de l’âme à celle du corps, ne pouvant s’imaginer qu’un beau palais ne loge toujours une belle hôtesse.

J’aperçus lors avec admiration les avantages que l’esprit tire d’un beau sang, et quelles dispositions il reçoit de la perfection de ses organes.

En observant la grandeur de votre mérite, il m’eût été impossible de pouvoir douter de la grandeur de votre naissance ; il fut aisé de me persuader que vous sortez de ces grands héros dont le nom enrichit l’Histoire, de ces généreux Gaulois qui ne balançaient point à tirer l’épée contre le premier des Césars, et se trouvaient avoir assez de cœur pour vouloir défendre un coin de terre contre le conquérant de tout le reste de l’univers.

Ce furent ces beautés et ce grand éclat, Madame, qui me firent en un moment mépriser pour votre service ce que j’estimais auparavant plus que toutes choses. Cette liberté qui est si chère à tous les hommes, et sans qui toutes les douceurs de la vie deviennent amères.

Aussi, Madame, vous étiez capable de me faire trouver de l’agrément dans une servitude plus contrainte. Je ne recevais pas en vous une maîtresse pour l’autorité seulement ; j’en rencontrais encore une autre pour les belles connaissances et les excellentes qualités. Et servir de cette façon était moins céder à la fortune que ce n’était se soumettre à la vertu. Je garderai donc le souvenir de cette aventure, Madame, comme une faveur de mes destinées, et n’aurai jamais de qualité qui me soit plus chère que celle, Madame,

De votre très humble et très obéissant serviteur,

Tristan l’Hermite.