À Madame, Madame la marquise de Rambouillet.
Madame,
C’est une dame romaine qui vient vous rendre ses devoirs. Si beaucoup de Français, et de ceux, qui se piquent de connaître les personnes de son pays, ne l’ont extrêmement flattée, elle conserve assez de l’air de ce qu’elle fut autrefois pour n’avoir pas besoin de vous dire son nom en vous abordant. Mais comme il n’y a que vous, Madame, en ce royaume, qui se puisse vanter d’avoir avec son pays et son sexe une naissance et une vertu pareilles aux siennes, c’est de vous seule qu’elle veut savoir si, en quittant le langage de Rome, elle en a perdu les sentiments. Et sans tirer aucun avantage de tout ce qu’on a dit en sa faveur, c’est seulement par l’accueil que vous lui ferez qu’elle veut juger d’elle-même. Elle espère de votre bonté que vous souffrirez son entretien, et pour peu que vous la trouviez semblable à la fille du grand Caton et à la veuve de Brutus, elle vous estime trop généreuse pour ne s’assurer pas que vous lui donnerez votre protection. Et c’est, Madame, l’espérance de ce glorieux avantage qui l’a fait venir chez vous. Dans l’obligation qu’elle a de se laisser voir à toute la France étrangère comme elle est, considérable seulement par la grandeur de ses disgrâces, sans une faveur comme la vôtre, il n’est point de mauvaise rencontre qu’elle ne dût appréhender. Mais si vous vous déclarez pour elle, le respect qu’on a pour tout ce que vous avouez la rendra aussi vénérable dans les lieux de votre séjour qu’elle le fut autrefois dans ceux de votre naissance, et n’étant plus étrangère où vous êtes si considérée, j’espère, Madame, qu’elle aura assez de bonheur pour avoir l’entrée de plus curieux cabinets, et pour n’y perdre pas l’estime qu’elle attend de votre approbation. Aussi me flattant par avance du succès de mon essai, je m’élève à des plus grands desseins, qui pourront mieux soutenir la dignité de votre nom, et vous faire agréer la hardiesse que je prends de me dire,
Madame,
Votre très humble, et très obéissant serviteur.
Boyer.