Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>Aricidie</em> Le Vert (16..-16..) 1646 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1646_vert-aricidie 1646 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
<a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k109777w" target="_blank" rel="noreferrer noopener">Gallica</a>
Français

À Mademoiselle de Manicamp.

Mademoiselle,

J’ai longtemps balancé si j’oserais vous dédier cet ouvrage, et consacrer à vos éminentes vertus des marques publiques de mes défauts et de mon insuffisance. J’appréhendais avec raison que tout le monde ne me blâmât avec justice, et qu’ayant une entière connaissance de la perfection de votre esprit, on ne m’accusât doublement et de vous avoir choisie, et de vous avoir trop peu offert. Je vous avoue, Mademoiselle, que ces considérations ont pensé d’abord me retenir, et que celles qui m’ont persuadé d’être assez hardi pour vous présenter ces petites marques de ma servitude et de ma reconnaissance ont presque cédé à celle qui me conseillait d’être plus judicieux et moins téméraire. Celle-ci avait du raisonnement et de l’éclat, les autres ont de la sincérité et du zèle, et comme ces dernières se sont trouvées plus conformes à mon inclination, je les ai appuyées de quelques raisons que je veux exposer à votre bonté, et tâcher par là, ou de justifier ma hardiesse, ou de rendre ma faute plus excusable. Je vous offre donc, Mademoiselle, un portrait mal tracé des légitimes affections de Tite, le plus aimable prince de la terre. Ce vaillant héritier de l’Empire, que l’on nomma justement « Les délices du genre humain », pour se rendre digne successeur de son père, porta ses armes et sa gloire dans la Palestine, et revint à Rome chargé des dépouilles des Juifs, et tout couvert des palmes de l’Idumée. Sa jeunesse et son pouvoir absolu lui firent à la vérité contracter quelques habitudes peu séantes à la vertu du premier homme du monde, et l’amour tâcha de retarder ses conquêtes par les appas de Bérénice, qui voulut asservir son vainqueur, et se rendre maîtresse d’un des maîtres de l’univers. Mais le devoir l’emporta sur la passion, et comme le génie de Rome avait déjà surmonté celui de Jérusalem, il fut toujours le même ; la modestie d’une Romaine parut plus grande par l’opposition de l’orgueilleux dessein d’une étrangère, et la vertueuse retenue d’Aricidie triompha de la trop libre ambition de Bérénice. Cette malheureuse princesse retourna dans son pays, où la désolation et son dépit excitèrent une haine si furieuse contre les Romains que ses descendants, les voyant embarrassés en d’autres guerres, tâchèrent à venger leurs affronts, et firent revivre après quelques siècles une querelle où le ciel assista visiblement le parti qui se déclara contre eux. Il choisit nos monarques français pour châtier cette infidélité renaissante, et comme Vespasien avait achevé ce grand ouvrage par l’assistance et le ministère de Tite, un de nos rois se trouva appuyé par les armes d’un de vos aïeux, et la piété de Philippe Auguste commença ce que la valeur d’Albert de Longueval mit heureusement à fin. Ce fut lui, Mademoiselle, qui rendit le nom des Français et le sien si redoutables qu’ayant arboré l’étendard de la croix et la bannière des fleurs de lys sur les plus hauts cèdres du Liban, il fut considéré comme l’aigle dans la fable, qui portait les foudres de Jupiter, ou comme notre Tite dans l’histoire, qui faisait combattre et triompher les armées de son père. C’est de cette belle source que sont écoulés des ruisseaux qui se sont épandus par toute la terre ; c’est de cette illustre tige que sont sorties des branches qui se sont épandues dans l’Asie et dans l’Europe, et c’est de ce vaillant héros que sont descendus tant de braves capitaines si renommés dans les Histoires. Ils ont marché sur les pas glorieux de leur prédécesseur, et si les uns ont arrosé de leur sang les campagnes qui furent si heureuses à l’Angleterre, et si fatales à la France, les autres ont obligé la fortune à se repentir de ce mauvais traitement, et sous les noms fameux de Manicamp et de Bucquoy, ils ont porté le bonheur et la victoire dans le parti pour lequel ils ont combattu. À qui donc plus justement qu’à la petite-fille de ce grand Albert pourrais-je dédier les dernières amours, le mariage et l’épithalame du prince qu’il s’était proposé pour modèle, et dont il a si bien imité les actions ? Si j’avais choisi une autre personne que vous, Mademoiselle, à qui j’eusse voulu offrir ce présent, qu’on doit considérer non pas tel que je l’ai fait, mais tel qu’une main plus habile que la mienne l’aurait pu faire, il m’aurait peut-être fallu dissimuler quelque chose de la vérité, de peur de la rendre honteuse, et j’aurais été contraint de trouver de fausses louanges dans le déguisement de certains vices, ou sur la simple ressemblance de quelques vertus. Mais puisque vous les possédez toutes, Mademoiselle, elles me réduisent dans une nécessité contraire, et forcent mon impuissance à ne point parler d’elles, de peur de n’en parler pas assez noblement. Je veux seulement, du peu que le ciel m’a prêté de lumière et de voix, faire voir à ceux qui ont le malheur de ne vous avoir jamais vue, et faire entendre à tous les autres, qu’entre les plus belles personnes du monde, il n’y en a point qui vous surpasse en éclat, peu qui vous égalent en majesté, mais beaucoup qui vous cèdent en l’un et en l’autre. C’est une vérité, Mademoiselle, que toute la cour ayant publiée, et qui s’étant répandue par les provinces, a passé même jusques aux royaumes éloignés, où la renommée a parlé si avantageusement et véritablement de votre jeune et parfaite beauté, qu’elle a fait venir aux rois étrangers un désir passionné de voir et d’admirer votre peinture. Je ne sais pas encore quel effet elle y a produit, je sais seulement que l’original a autant d’esclaves que de spectateurs, dont les cœurs adorent avec crainte et sans espérance ce que leurs yeux contemplent avec satisfaction et sans ennui. Mais je commence, un peu trop tard peut être, à m’apercevoir de celui que je vous cause, et que votre modestie me défend de continuer, ce que mon zèle me commande de poursuivre. J’avais encore beaucoup de choses à dire, et les pensées que la vôtre m’inspire, me rendent si fécond que je me fais quelque violence de vous obéir et de me taire. Je vous obéis pourtant, Mademoiselle, puisque je ne serai désormais au monde que pour cela, et dans le nombre des éloges que votre mérite exige de ma passion, le silence que votre respect m’impose n’est pas une petite marque du grand pouvoir que vous avez sur moi, qui ai toujours été de tout mon cœur, qui suis plus que personne, et qui serai toute ma vie,

Mademoiselle,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Le Vert.