À Madame la duchesse de Sully.
Madame,
Quoique je ne sois pas capable de faire des ouvrages qui durent toujours, je ne laisse pas de me promettre que celui-ci aura cet avantage, puisque je le mets sous votre protection. Le respect que l’on a pour vous s’étendra jusques à moi, et votre illustre nom, qui est à l’entrée de mon livre, servira à immortaliser le mien. On publie partout votre mérite, Madame, et vous êtes admirée de ceux qui sont eux-mêmes admirables. Mais ce qui vous rend plus digne de louange, c’est que vous refusez les honneurs que l’on vous veut rendre, vous vous contentez de les mériter sans les recevoir, et vous fuyez la gloire comme une autre fuirait la honte. Vos vertus sont si éclatantes que je n’oserais entreprendre d’en parler, ni d’accorder votre modestie et la vérité qui sont toujours en querelle : l’une ne veut jamais que l’on vous loue, l’autre assure que l’on ne vous peut assez louer ; l’une vous attire dans la solitude, l’autre vous appelle au cercle, et dit que vous faites une des plus belles partie de la plus belle cour du monde. Je voudrais bien avoir assez d’adresse pour réconcilier ces deux vertus, mais j’en laisse le soin à quelqu’autre qui s’en acquittera mieux que moi. Je prendrai seulement la liberté, Madame, de vous faire voir le portrait d’un garçon qui vous ressemble. Que ce discours ne blesse pas votre pudeur : celui dont je vous parle n’en manqua jamais, il fut accusé pour en avoir trop. C’est le vertueux Hippolyte, ce fils d’une héroïque Amazone, ce jeune héros qui eut toutes les perfections de votre sexe et du sien. Il fut vaillant et généreux, beau et insensible ; après avoir tué de sa main le monstre qui ravageait sa patrie, il blessa de ses yeux les plus belles dames de son siècle, et ne ressentit point le mal qu’il leur avait fait. Il ne fut point touché des larmes de Phèdre qui embrasa toute la jeunesse d’Athènes, ni des attraits de Penélope qui était alors en la fleur de son âge, ni des charmes d’Hélène qui remplissait tous les cœurs, et d’amour et de jalousie. Si ces trois illustres princesses ne se purent faire aimer de ce jeune prince, et s’il leur témoigna toujours de l’indifférence, il n’a pas les mêmes sentiments pour vous, Madame ; il trouve que vous avez des perfections qu’elles n’avaient pas, et croit qu’il est plus glorieux de vous servir que d’être aimé d’elles. Il vient perdre auprès de vous la qualité d’insensible, mais non pas celle de respectueux ; il a toujours les mœurs que vous approuvez, et vous ne devez pas craindre de le recevoir dans votre solitude. Il ne vous dira pas les choses que vous ne voulez pas entendre. Souffrez donc, Madame, qu’il aille vous rendre hommage jusques à Sully, et daignez l’honorer d’un favorable accueil. Si vous lui accordez cette grâce, votre ville lui sera plus considérable que celle où il a pris naissance, et il préférera l’honneur que vous lui ferez à toutes les louanges qu’il a reçues de la Grèce. Ce n’est aussi que pour cette raison qu’il sort du tombeau, que les Muses le font revivre, et c’est par là seulement qu’il se croit rendre immortel. Ne lui refusez pas cette faveur, Madame ; autrement, vous lui ferez soupçonner que vous êtes vindicatives, et que vous le voulez punir du mépris qu’il a fait de votre sexe. Mais il vous supplie très humblement de croire que vous n’y êtes point intéressée, et qu’il eût eu de la vénération pour toutes les dames, si elles vous eussent ressemblé, au lieu de la froideur et de l’indifférence qu’il a eues pour les autres. Il n’a que du respect et de l’admiration pour vous, non plus que moi qui serai toute ma vie,
Madame,
Votre très humble, et très obéissant serviteur,
Gilbert.