À très haute, très puissante et souveraine princesse Christine, reine de Suède.
Madame,
Ce prince que j’ai l’honneur de présenter à Votre Majesté ne croirait pas avoir reçu toute la gloire que ses belles actions ont méritée, s’il ne s’efforçait d’ajouter à l’estime que la France en a faite l’approbation d’une reine qui est aujourd’hui la merveille et l’étonnement de tout le monde. C’est pour cela, Madame, qu’il vole avec joie vers les climats où vous commandez, et qu’il va tâcher en vous apprenant ses aventures, d’apprendre lui-même dans l’exemple de votre vie la science de bien régner. Et certes on ne peut savoir de quels châtiments vous accablez le vice, et de quelles récompenses vous honorez la vertu, sans confesser que c’est une espèce de prodige de voir que Votre Majesté possède en l’âge de vingt-deux ans, ce qu’à peine les plus grands politiques ont bien su dans l’étendue de plusieurs siècles. Je sais bien que Gustave, cet illustre conquérant, qui s’étant fait sentir à nos ennemis comme un foudre, disparut quasi comme un éclair, je sais bien, dis-je, que ce grand prince qui avait porté l’affection ou la crainte jusque dans le cœur de tous les monarques, ne pouvait rien produire qui ne fût miraculeux. Mais, Madame, ceux qui voient de quels trésors vous enrichissez une naissance si avantageuse, demeurent d’accord que vous vous devez presque tout à vous-même, et que les perfections que vous faites éclater, et les belles connaissances dont vous vous remplissez tous les jours, sont bien plutôt un ouvrage de vos veilles et de vos soins qu’un présent de la nature. J’entreprendrais d’exagérer dans cette lettre une partie des vertus dont vous brillez, si je n’étais bien assuré que ce que j’en dirais trouverait fort peu de créance parmi les hommes, car, Madame, qui pourrait se persuader que le soleil n’eût jamais surpris dans le lit une jeune reine, et que ces longues heures que les autres donnent au sommeil ne fussent employées par elle qu’à l’étude des belles choses ? Qui croirait que malgré la délicatesse de son sexe, Votre Majesté eût pu s’accoutumer à l’usage des armes, et qu’au lieu de se plaire aux artifices d’une coiffure, ou à la pompe des habits, elle eût tant d’amour pour le courage et pour les lettres qu’elle ne pût souffrir auprès d’elle ni les lâches, ni les ignorants ? Qui croirait que pour l’expérience de la guerre on pût avec justice préférer Votre Majesté aux plus grands héros que l’Antiquité nous ait vantés, puisque, aussi savante qu’eux en l’art de faire subsister et combattre les armées, vous avez encore le secret d’y attacher inséparablement la victoire ? Qui croirait enfin que dans un âge si peu avancé une princesse présidât dans son conseil, beaucoup moins par sa condition que par sa suffisance, et qu’en toutes rencontres faisant de ses conseillers les sectateurs de ses justes sentiments, elle leur fit avouer qu’il serait impossible de trouver dans tous ses États un plus solide jugement, ni plus capable de la conduite d’un empire ? Ce sont là, Madame, des choses qui semblent aller au-delà de l’imagination. Et ce sont pourtant des vérités que j’ai apprises, non pas d’un simple bruit commun, mais d’une bouche sacrée, et qui a cet avantage sur la renommée de ne savoir ni déguiser ni mentir. Et c’est par cette même bouche, Madame, que j’ose espérer que Votre Majesté saura quelque jour combien sensiblement m’ont touché des qualités si extraordinaires, et que quand je ne devrais pas toutes choses aux bontés qu’elle a pour ma nation, je ne laisserais pas d’être par une obligation très légitime, et avec un respect très soumis,
De Votre Majesté, Madame,
Très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur,
Baro.