À la reine d’Angleterre Henriette-Marie, fille de France.
Madame,
Cet illustre martyr que je prends la hardiesse d’exposer aux yeux de Votre Majesté se flatte d’une espérance qui ne sera peut-être pas vaine, et croit avec quelque justice que le récit de ses peines apportera quelque consolation à vos déplaisirs. Votre vie et la sienne ont un rapport qui me donne de l’étonnement et de l’admiration tout ensemble, et si l’on y peut trouver quelque différence, elle servira seulement à faire voir que, votre vertu ayant été plus éprouvée, elle doit être aussi plus glorieuse. Placide était sorti d’un sang dont Rome considérait la noblesse, mais l’Histoire ne marque pas qu’il eut comme vous pour aïeux une longue suite de rois, et parmi les biens qu’il perdit, elle ne compte point de couronnes. Il fut l’innocent et le misérable spectateur de l’enlèvement de sa femme, dont l’honneur faillit d’être la proie d’un ravisseur insolent, et Votre Majesté peut dire avoir vu la moitié de soi-même, ou plutôt son tout entre les mains des bourreaux, dont la rage criminelle a triomphé de son honneur et de sa vie. À peine, Madame, qu’en écrivant ces paroles mon âme n’abandonne mon corps, et ne se mêle aux larmes de sang que je verse. Ma douleur va dans un excès qui ne peut être surpassé que par le vôtre. Et certes, si jamais la reconnaissance fut capable d’exciter un juste ressentiment, elle doit produire cet effet en moi, qui reçus autrefois de la générosité de ce prince des bienfaits qui ne mourront jamais en mon souvenir. Je sais bien, Madame, que m’ayant été procurés par Votre Majesté, votre bonté en doit partager la gloire, mais elle me permettra de dire à l’avantage de ce monarque infortuné que quand il était question de faire du bien, son esprit ne souffrait point de violence, et qu’il était bien plus difficile d’arrêter sa libéralité que de l’émouvoir. Qui saura l’état où Votre Majesté se rencontre maintenant après des pertes si funestes verra bien que le présent que j’ose lui faire est plutôt pour m’acquitter des grâces que j’en ai reçues que pour en attirer de nouvelles. Dieu m’est témoin que je n’ai rien que je ne sois prêt à sacrifier pour vos intérêts, et que, ne pouvant pas me vanter d’avoir une fortune qui puisse contribuer quelque chose à vous faire rendre ce que la rébellion et l’injustice vous ont en quelque façon ravi, j’ai au moins quelques restes de vie que j’y emploierai avec chaleur, et avec autant de passion que j’en ai d’être cru,
De Votre Majesté, Madame,
Très humble, très obéissant, très fidèle, et très obligé serviteur,
Baro.