À Mademoiselle d’Arpajon.
Mademoiselle,
Je n’ai pas assez de présomption pour croire que je vous fais un présent digne de vous, en vous offrant Zénobie reine d’Arménie. Je vous demande seulement une protection que Monseigneur le duc votre père m’a fait l’honneur de me dire que vous m’accorderiez. Il a vu Zénobie sur un superbe théâtre, et ce qu’il n’a pas cru indigne de ses yeux, il m’a assuré qu’il ne déplairait pas aux vôtres. C’est sur la foi de sa parole inviolable que cette reine ose paraître devant vous. Elle a autrefois rencontré son asile dans la générosité des Romains, qui l’ont vengée de ses deux maris qui furent ses persécuteurs, et ses tyrans. Elle vous demande la même grâce pour se justifier à la postérité de la poursuite de sa vengeance. Zénobie, sans ce secours que j’implore pour elle, passerait pour cruelle, quoiqu’elle ne soit que généreuse et ce qui n’est en elle qu’une vertu, deviendrait une passion ; sa colère, qui est légitime et que les crimes de ses époux ont fait naître, passerait pour un autre crime, et l’ardeur qu’elle a de se faire rendre justice pour un dérèglement de sa volonté. Enfin, Mademoiselle, si vous ne lui tendez la main, on la condamnera de trop de sévérité, et on lui souhaitera peut-être la mort après celle de ses maris, mais vous aurez de la bonté pour elle, et votre illustre nom révéré de toute la terre la garantira de ce reproche. Sous cet appui elle ne craindra point de sinistre jugement de son siècle ni de la postérité, et je n’ai pas de peine à me persuader que tout le monde aura du respect pour un ouvrage que ma plume vous consacre, et qui portera vos livrées. Si Zénobie est généreuse, la princesse sa fille ne l’est pas moins, et je m’assure que vous l’aimerez encore plus que la mère : elle combat de vertu et de générosité avec elle. Mais quelque grande que soit cette vertu, elle n’est que l’ombre de la vôtre qui est aussi illustre que votre naissance ; vous la possédez héréditairement comme le bien de vos pères : c’est dans votre maison une grâce infuse, et une heureuse nécessité de naître vertueux. Vous n’aurez besoin pour la former ou pour la cultiver ni d’expérience, ni d’exemples étrangers : vous n’avez qu’à vous souvenir de l’histoire de votre maison, et pour tout dire qu’à jeter les yeux sur celle de Monseigneur le duc votre père, dont toute la vie est un tissu en grandeur et généreuses actions qui répandent des lumières qui éclaireront tous les siècles. Souffrez-moi donc à l’ombre de cette vertu, et faites grâce à ma témérité si j’ose prendre le titre qui m’est si glorieux de,
Mademoiselle
Votre très humble et très obéissant serviteur,
De Montauban.