À son altesse royale.
Mademoiselle,
L’Écolier de Salamanque est un des plus beaux sujets espagnols, qui ait paru sur le théâtre français depuis la belle comédie du Cid. Il donna dans la vue à deux écrivains de réputation en même temps qu’à moi. Ces redoutables concurrents ne m’empêchèrent point de le traiter. Le dessein que j’avais il y a longtemps de dédier une comédie à votre altesse royale me rendit hardi comme un lion, et je crus que, travaillant pour son divertissement, je pouvais mesurer ma plume, même avec celle de quelque poète héroïque, fût-il du premier ordre et de ceux qui chaussent le cothurne à tous les jours. Je doute si Apollon bien invoqué, et ma muse bien sollicitée, m’eussent été des divinités plus favorables que me l’a été votre altesse, et si plusieurs prises à pleine tasse d’eau du sacré vallon m’eussent fait monter plus de vapeurs poétiques à la tête qu’a fait l’ambition de vous plaire. Elle a eu des obstacles à surmonter, comme les grands desseins en ont toujours. On a haï ma comédie devant que de la connaître. De belles dames qui sont en possession de faire la destinée des pauvres humains ont voulu rendre malheureuse celle de ma pauvre comédie. Elles ont tenu ruelle pour l’étouffer dès sa naissance. Quelques-unes des plus partiales ont porté contre elle des factions par les maisons comme on fait en sollicitant un procès, et l’ont comparée, d’une grâce sans seconde, à de la moutarde mêlée avec de la crème. Mais les comparaisons nobles et riches ne sont point défendues, et quand, par plusieurs autres de même force, on aurait perdu de réputation ma comédie, l’applaudissement qu’elle a eu de la cour et de la ville, lui en aurait plus rendu que ne lui en aurait pu ôter une conjuration de précieuses. Que si je suis assez heureux pour avoir aussi l’approbation de votre altesse, je me croirai glorieusement vengé des dames sans pitié qui ont tant voulu faire de mal à qui ne leur avait jamais rien fait. Votre altesse, clairvoyante comme elle est, aura remarqué sans doute que mon épître, qui ne doit être pleine que de ses louanges, ne l’est jusqu’ici que des aventures de ma comédie, que j’en parle trop avantageusement, et enfin, qu’il semble que, la plume à la main, je ne connais plus personne, et ne me connais pas moi-même. Il est vrai que les épîtres liminaires doivent être des panégyriques en petit. Mais votre altesse est trop juste pour ne considérer pas qu’il est impossible de la louer autant qu’elle mérite d’être louée, et que c’est tout ce que pourraient faire les donneurs de louanges qui durent éternellement. Les façons de parler sont défectueuses où la matière est trop abondante, et tout ce qu’on peut s’imaginer à la louange d’une princesse d’un mérite extraordinaire ne peut quasi être que des redites. Dirai-je que votre altesse est du plus illustre sang du monde ? Il n’y a que quelques Indiens des plus éloignés du commerce des hommes qui le puissent ignorer. Parlerai-je de son courage, qui est, si je l’ose dire, encore plus grand que sa condition ? Parlerai-je de son esprit, que les hyperboles même ne peuvent assez exagérer ? De sa beauté, de sa taille et de sa mine, qui peuvent servir d’un riche patron aux meilleurs poètes pour représenter non seulement une héroïne bien vérifiée, mais aussi une divinité, telle que la mère d’Énée est admirablement bien décrite dans l’inimitable Virgile ? Ou je ne dirais pas tout ce qu’il faut dire, ou je le dirais mal. Je ferai donc mieux de finir, en protestant que je suis plus que personne du monde,
De votre altesse royale,
Le très humble, et très obéissant serviteur,
Scarron.