À Madame la présidente de Thoré.
Madame,
Si pour tant de marques essentielles et véritables que j’ai reçues de votre bienveillance, si pour tant d’effets solides que j’ai ressentis de votre générosité dans ma disgrâce, je ne vous offre ici que des Apparences trompeuses, je ne crains pas que vous m’accusiez pour cela d’injustice et d’ingratitude, comme vous connaissez le fond de mon âme, je sais bien, Madame, que ces illusions qui peuvent tromper agréablement le plus bel esprit du monde ne sauraient jamais tromper un cœur fait comme le vôtre. Il est trop bon pour ne discerner pas l’intention que j’ai de vous plaire en vous trompant, et par là, quand il se pourrait faire que je vous dusse encore plus que je ne vous dois, je ne vous donne pas à mon avis une légère marque de reconnaissance. Si je me sentais plus utile à votre gloire qu’à votre divertissement, je ferais de plus nobles efforts pour vous en donner des preuves qui vous satisfissent davantage, mais de l’humeur que je vous connais, j’estime que la joie vous est plus nécessaire que les louanges. Votre nom, accompagné des rares qualités que vous possédez, se peut rendre immortel sans le secours de mes muses, mais j’ai la vanité de croire qu’elles peuvent ici vous réjouir et, comme je sais que la joie vous aide à vivre, j’estime que c’est travailler utilement pour vous que de chercher à prolonger plutôt votre vive que votre mémoire. Enfin, Madame, je vous fais ici plutôt une restitution qu’un présent ; ce sont des fruits de votre belle maison de Tanlay que je vous offre dans cette comédie que je n’eusse jamais eu la force d’achever ailleurs dans le chagrin de ma dernière disgrâce. Votre canal admirable, vos prairies et vos promenoirs, secondés de votre bonne chère et de votre accueil obligeant, ont eut plus de part à cette production que n’en a l’auteur espagnol d’où je l’ai tirée, et je serais bien malheureux, si dans un si doux climat qui n’a jamais rien produit que de bon, s’il m’était échappé quelque chose qui ne fût pas de même nature. Quand ce malheur me serait arrivé, je crois, Madame, que vous auriez encore assez de bonté pour chercher à m’en consoler. Comme vous regardez plutôt le cœur que l’esprit des personnes qui vous sont chères, vous aimerez mieux sans doute les bonnes intentions que les belles pensées de celui que vous savez être avec une passion extrême, et une entière reconnaissance,
Madame,
Votre très humble, et très obéissant serviteur,
Boisrobert, abbé de Châtillon.