Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>Le Geôlier de soi-même</em> Corneille, Thomas (1625-1709) 1656 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1656_corneille-thomas_geolier-soi-meme 1656 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À son altesse royale Mademoiselle.

Mademoiselle,

Voici un prince qui, malgré les divers intérêts qui l’obligent à tenir sa naissance cachée, ne peut se résoudre à vous être plus longtemps inconnu, et qui va chercher après de votre altesse royale une protection qu’elle n’a jamais refusée à personne. Elle lui est d’autant plus nécessaire qu’il s’est toujours vu traversé par de fameux concurrents, et si, dans ce qui regarde sa fortune, il a eu besoin de toute sa valeur pour triompher de l’un, c’est par le glorieux appui qu’il espère de votre altesse qu’il s’ose promettre d’établir assez fortement sa réputation pour n’avoir rien à craindre de l’autre. Pour moi, quelque haute présomption qu’il fasse éclater dans ce projet, je ne puis me repentir de lui en avoir inspiré la pensée, puisque la confiance du rang qu’il tient l’autorise en quelque façon à ne se croire pas tout à fait indigne d’un si grand asile, il n’y peut recourir sans porter en même temps à votre altesse les hommages respectueux de mon zèle, et qu’ainsi il me donne lieu de lui rendre grâce de la part de nos muses de cette obligeante bonté qui lui fait honorer souvent d’une audience si favorable ce qu’elles nous font produire sur la scène. C’est là sans doute le couronnement de nos travaux, c’est là le prix le plus avantageux dont l’espérance puisse flatter notre ambition, et comme votre altesse a l’esprit infiniment éclairé, mais de ces belles et vives lumières qui ne lui permettent pas de se laisser ni préoccuper ni éblouir dans le discernement des bonnes et des mauvaises choses, nous avons droit de croire que les ouvrages qui ont paru devant elle sont dignes de paraître devant toute la terre, quand ils n’ont point eu le malheur de lui déplaire, et son approbation n’est pas moins la marque la plus assurée de leur bonté, qu’elle en fait la plus précieuse récompense. Aussi, quelques applaudissements que cette comédie ait pu recevoir au théâtre, je ne laisse pas d’en tenir encore le succès aussi douteux qu’imparfait, puisqu’il lui manque ce qui peut donner à sa gloire un véritable et solide éclat, et n’ayant rien épargné pour la rendre la moins défectueuse de celles qui me sont échappées jusqu’ici, j’avoue que je n’ai pu me défendre d’un sentiment secret d’amour-propre qui m’a fait élever mes désirs jusqu’à vouloir chercher dans le suffrage illustre de votre altesse l’achèvement de sa bonne fortune. Ce n’est pas que je sois assez vain pour prétendre le pouvoir mériter, mais si la nouveauté d’un sujet tout extraordinaire, et ce mélange assez peu commun de plaisant et de sérieux, à qui le public n’a pu refuser ses acclamations, ont des charmes trop faibles pour faire en ma faveur aucune surprise à son esprit, j’ose attendre de sa générosité qu’elle ne dédaignera pas de recevoir avec indulgence ce que je lui présente avec respect, et que, si les défauts de cet ouvrage lui font condamner d’abord la témérité de mon entreprise, elle en trouvera l’excuse dans l’impatiente ardeur que j’ai eue de faire au moins mes efforts pour contribuer quelque chose au divertissement d’une des plus grandes princesses de l’Europe. Ce sont mes vœux les plus passionnés, et s’ils me laissent encore quelque chose à souhaiter, ce ne peut être que la permission de me dire,

Mademoiselle,

De votre altesse royale,

Le très humble et très obéissant serviteur,

T. Corneille.