Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>Jeanne de Naples</em> Magnon, Jean (1620-1662) 1656 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1656_magnon_jeanne-naples 1656 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À Mademoiselle, Mademoiselle de Maures, comtesse d’Artigues.

Mademoiselle,

Comme la vertu préfère toujours un grand cœur à un grand trône, et comme vous avez une âme qui vous fait voir au-dessous de vous ce que les autres voient au-dessus d’eux, je puis bien vous assurer que la vertu se satisfait beaucoup mieux du rang que vous lui donnez en vous que si quelqu’autre l’élevait à un degré où bien souvent la fortune se veut rendre sa compagne. Que cela ne soit ainsi, cette pudeur qui paraît sur votre visage, cette douceur qui loge en vos yeux, votre voix qui se ressent de la justesse de vos sentiments, et cette retenue qui accompagne vos discours et vos actions, ne me sont-elles pas tout autant de preuves de la satisfaction intérieure que vous donnez à la vertu, et de la joie que vous prenez à la contenter ? Mais se peut-il, Mademoiselle, que parmi ces interprètes de votre vertu, je voie une grande modestie, qui, par une espèce de fierté qui lui sied bien, me veut empêcher de vous en dire davantage et qui, pour signaler avec plus de justice l’injustice qu’elle veut faire à la gloire de ses égales, veut que je la prive elle-même des éloges qui lui sont particuliers ? Non, non, j’aurai toujours plus d’égard à la gloire de ses voisines qu’à la sienne propre. Si l’un m’ordonne de me taire, les autres me commandent de parler, et c’est en cédant aux plus fortes que je protesterai à tout le monde que vous avez des qualités auxquelles il est bien difficile de résister, et qui justifieront toujours l’une des plus belles et des plus pures amitiés du monde. Plaignez-vous donc à vous seule, Mademoiselle, de la violence que me fait votre mérite ; faites que votre modestie soit toute seule, je ne la louerai point, mais quand je remarque en vous tant d’autres perfections qui la touchent de si près, tout ce que je puis faire en sa faveur, est de ne me pas guère étendre sur la plupart des avantages que vous possédez, et de courir où le moindre me peut arrêter. Être donc d’une fort belle naissance, avoir eu des prédécesseurs, et avoir même des parents vivants, auxquels cet État est obligé, ne sont-ce pas des biens qui vous sont communs avec ceux de votre famille ? Et quant aux qualités du corps et de l’esprit, les avoir toutes, n’est-ce point m’épargner la confusion que j’aurais d’en représenter quelques parties ? Il me suffira sans doute, Mademoiselle, de protester de mon insuffisance, autant que de leur étendue et de leur nombre, étant vrai de dire, que qui vous connaîtra bien, tombera d’accord de cette vérité, et se persuadera facilement, qu’étant toute bien faite, comme vous l’êtes, vous seriez la plus ingrate du monde, si vous vous plaigniez à la nature de ce qu’elle vous donna en partage. Loin de l’en blâmer, vous l’en louerez, car au moment qu’elle vous fit accomplie, elle répandit en vous tant de générosité qu’il n’y a point d’apparence à concevoir qu’ayant reçu d’elle un naturel bien-faisant à tout le monde, vous manquiez jamais de reconnaissance envers votre bienfaitrice, et pensiez pour lui déplaire, en faveur de votre modestie, qu’elle ne vous a pas tout accordé. Ce n’est pas que je ne la condamne pour vous de ne vous avoir point laissé la disposition de beaucoup de dignités, mais pourquoi l’en accuser ? Ce n’est point là sa faute, c’est celle de la fortune, qui n’est amie de la vertu que par caprice, et qui met aussi souvent les avares sur le trône qu’elle réduit les généreux dans l’impuissance de pouvoir exercer leurs beaux sentiments. Oui, Mademoiselle, je suis certain que si cette fortune, malheureusement pour elle, vous avait donné l’empire de la terre, vous vous serviriez de son présent pour la détruire, et rendant à la vertu ce que cette extravagance lui a ôté, vous soupireriez aussi souvent que le plus magnanime de tous les Romains, quand vous ne pourriez obliger personne, et que vous croiriez avoir perdu cette journée en laquelle vous n’auriez point fait de bien. En tout cas, ce n’est point là votre disgrâce, c’est celle des malheureux que vous ne pouvez secourir. Qu’ils s’en plaignent donc à une providence qui ne vous a pas mise en état de changer la face d’un monde où il y aura toujours plus d’infortunés que de généreux. Vous vous glorifierez cependant d’avoir obtenu de la nature tout ce qu’elle vous pouvait accorder, et tout ce qu’admire en vous,

Mademoiselle,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Magnon.