Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>Le Fantôme</em> Nicole, Claude (1611-1685) 1656 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1656_nicole_fantome 1656 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À Madame de Bonnelle.

Madame,

Il y a quelques années que je suis en doute, si je dois prendre la liberté de vous dédier une de mes traductions : cette pensée, ou plutôt la passion que j’en ai eu, a été jusques ici puissamment combattue par le respect que je dois à votre naissance et à votre personne, et j’ai toujours trouvé de la vanité et de l’insolence à faire voir à l’ouverture de quelqu’un de mes ouvrages un nom illustre comme le vôtre, et qui est en vénération à toute l’Europe. D’autre côté, Madame, les pressantes obligations que j’ai à vos bontés sont venues en foule pour détruire ma timidité, et après tout m’ont persuadé que vous agréeriez l’hommage d’une personne à qui vous n’avez pas refusé une protection généreuse et effective. Celui-ci que je vous présente n’est pas du caractère et de la beauté que je souhaiterais. Et, en effet, Madame, à moins de vous offrir quelques forts et généreux sentiments de morale, de politique, ou de cabinet, puis-je espérer que vous y daigniez jeter les yeux, et qu’un comique de l’Antiquité puisse les divertir, et satisfaire en quelque façon un esprit vaste et éclairé comme le vôtre ? En vérité, Madame, tout ce que la fable et l’histoire nous ont appris de merveilleux des plus excellentes personnes de votre beau sexe, n’est que l’ombre ou le faible crayon de vos vertus et de vos lumières et, si elles nous les ont représentées vaillantes et courageuses dans les batailles, de combien la fermeté de votre âme a-t-elle paru au-dessus de ces effets, lorsque vous l’avez si glorieusement témoignée en des occasions de remarque et d’utilité pour le bien du royaume ? De sorte que si nous en voulons faire le parallèle avec vous, nous serons obligés de dire que tout l’avantage dont l’on les a relevées leur est commun avec les brutaux et les barbares, et que le vôtre est celui que l’on a admiré dans la conduite et l’esprit des philosophes. Que peut-on dire de leur générosité, si l’on la compare avec celle que vous exercez tous les jours à la vue de toute la France ? Et qu’a-t-on pu marquer de si illustre dans toutes leurs actions qui puisse aller du pair avec la protection et la vie que vous donnez à plus de vingt mille âmes dans notre seule province ? Mais, Madame, le nombre et la quantité des belles choses que j’aurais à louer en votre incomparable personne me ferment la bouche, et je n’ose pas même parler de ces qualités éclatantes qui règnent sur les hommes sans sceptre et sans diadème, et que vous possédez plus avantageusement qu’aucune autre de votre sexe. S’il était permis de les exagérer, pourrait-on pas dire avec justice que la nature n’a jamais travaillé avec tant de proportion et de justesse qu’en cette admirable taille qui vous est particulière, et que l’idolâtrie ne donnait qu’à ses déesses ? Pourrait-on pas dire, sans vous flatter, qu’elle n’a jamais assemblé en un seul compas tant de trésors de grâce et d’intelligence, et qu’elle a fait plus d’un miracle en vous donnant à vous seule ce qu’elle ménage pour un million de celles à qui elle fait ses plus précieuses libéralités ? Je ne parle point, Madame, de la grandeur de votre maison, ni de celle de votre alliance, il me suffit de dire que l’une et l’autre sont des sources fécondes en cordons bleus, en hermines, et en couronnes, et qu’il ne leur manque que la souveraine. Après cela, Madame, il serait ridicule à une plume grossière comme est la mienne d’en entreprendre les éloges. Il y a de certaines choses si relevées qu’elles laissent bien loin la plus élégante expression ; celles qui vous regardent sont de cette nature, et leurs brillants ne trouvent point dans l’éloquence ni de termes ni de pensées pour en faire les panégyriques. Cela étant absolument vrai, de quelles raisons un malheureux provincial comme moi autorisera-t-il l’indigne présent qu’il vous fait ? Et par quelles paroles touchantes vous peut-il obliger à le recevoir bénignement, si ce n’est qu’étant infiniment au-dessous du mérite de vous être offert, au moins est-il proportionné à celui qui vous le présente, et qu’il ne peut en autre manière vous rendre des marques plus sensibles de sa gratitude et de sa très humble reconnaissance. Enfin, Madame, il est bien étrange que pour les témoigner publiquement, je vous donne une comédie ; et néanmoins je ne désespère pas que vous n’ayez la bonté de la recevoir avec votre générosité ordinaire, qui n’ayant point de bornes ni de limites, s’étendra encore jusques à me permettre de vous demander avec un très profond respect la qualité de,

Madame,

Votre très humble, très obligé, et très obéissant serviteur,

Nicole.