À Mademoiselle Laura Martinozzi.
Mademoiselle,
Cette pompeuse dispensatrice de la gloire sur la foi de laquelle nous établissons nos sentiments, et trouvons des admirations dans les choses que nous ne voyons pas, m’ayant appris l’excellence des rares qualités que vous possédez, j’en conçus d’abord de si hautes idées qu’elles furent le plus digne sujet de mes méditations. Et comme j’eus ensuite une forte attache à pénétrer dans la connaissance de ces charmantes vérités, mon esprit en reçut de si vives lumières qu’à peine put-il se défendre de l’éblouissement. C’est une espèce d’impossibilité suivant la raison que nous soyons insensibles aux agréments des beautés, qui se rencontrent sans pareilles et, par une complaisance naturelle que nous avons pour nous-mêmes, nous ne pouvons nous empêcher de louer ce qui nous touche sensiblement. Ainsi, Mademoiselle, ces puissantes impressions que mon imagination conservait respectueusement de vous lui faisaient une douce violence, pour la contraindre à les mettre au jour, sachant bien que la plus sublime louange qu’on vous puisse donner, c’est de faire voir ce que vous êtes. Cette agréable impétuosité était au point de se rendre victorieuse de mon génie, quand la raison, venant à son secours, lui fit voir, qu’il ne pouvait que par un excès de témérité, s’engager dans un dessein dont l’exécution lui serait impossible, le fortifiant ainsi dans sa résistance, par la réflexion qu’elle lui fit faire sur sa faiblesse. Il fallut néanmoins, que cette brusque ardeur s’exhalât par quelques productions et, comme j’étais dans une préoccupation avantageuse, ma pensée ne se pouvait porter que vers un objet très relevé. Je ne sais si je dois dire que je changeai de dessein, ou que je suivis le premier avec quelque sorte de déguisement puisque, m’étant occupé à peindre sainte Suzanne, je m’aperçus, Mademoiselle, que j’avais ébauché votre portrait. Véritablement, je trouve un si grand rapport et des conformités si particulières entre elle et vous que je ne considère rien en l’une, quant aux avantages temporels, que je ne l’admire en l’autre. Rome, cette superbe ville jadis si féconde en merveilles, vit celles de sa naissance, et Rome se peut vanter de ce qu’en la vôtre elle a vu renouveler ses merveilles. Elle était d’une très illustre famille, et la vôtre tire son origine des plus célèbres de l’empire romain, sans qu’on puisse observer entre les deux aucune différence d’ancienneté. Elle était nièce d’un pape, duquel la mémoire sera toujours en grande vénération ; vous l’êtes d’un grand prince de l’Église, dont le temps ni les lieux ne sauraient limiter la gloire. Le Ciel et la nature vous ont partagée aussi bien qu’elle des dons de l’esprit et du corps, en sorte qu’elle fut l’objet de l’amour légitime, quoique ensuite déréglé, de la plus considérable personne du même empire et, sans faire injustice à votre mérite, l’on ne peut douter que vous ne soyez digne des plus ardentes affections des principales personnes du monde. En effet, cette admirable princesse de Conti nous fait assez connaître que par l’ordre adorable de la providence divine, celles de votre maison sont destinées à donner de généreux princes à la terre, et de magnanimes conquérants au Ciel. Je m’aperçois bien, Mademoiselle, que je ne devais pas, pour l’intérêt de sainte Suzanne, produire ici cet exemple, parce que pour établir une parfaite comparaison entre elle et vous, il faudrait dire qu’elle avait, comme vous avez, une sœur, par laquelle l’on pût clore le cercle de ses éloges, ce qui ne se peut, sans blesser la fidélité de l’Histoire. Aussi veux-je m’en taire, réservant à publier plus convenablement ce que je conçois de cette merveilleuse princesse, et lorsque sa modestie m’en aura donné la liberté. Enfin, il est vrai que sainte Suzanne possède la couronne éternelle d’une glorieuse martyre. Mais je puis dire avec vérité que votre zèle à l’intérêt de Dieu est assez grand pour vous l’acquérir, si le temps et l’État n’avaient leur bonheur d’être exempts de tyrans et d’idolâtrie. Je sais que même dans l’ordre de la nature, la sympathie résulte des convenances qui se rencontrent entre les choses, lesquelles sont en plusieurs si secrètes qu’elles nous réduisent aux termes de l’étonnement. Et c’est, Mademoiselle, ce qui m’a persuadé que vous recevriez favorablement ce fidèle tableau des triomphes de sainte Suzanne, et que je pouvais avec bienséance vous le dédier, quoiqu’il ne soit pas accompagné de toutes les beautés convenables à la dignité du sujet. J’avoue aussi qu’à cette considération j’ai joint celle d’un généreux intérêt : c’est d’immortaliser mon nom, en le faisant voir sous le titre honorable de,
Mademoiselle,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
Vallée.