Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>Les Illustres Ennemis</em> Corneille, Thomas (1625-1709) 1657 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1657_corneille-thomas_illustres-ennemis 1657 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À Madame la comtesse de Fiesque.

Madame,

L’approbation dont il vous a plu vous montrer si libérale envers ce poème m’est trop glorieuse pour la tenir plus longtemps secrète, et j’ose rendre public le remerciement que je vous en dois, afin d’apprendre au public que vous me l’avez donnée. Ainsi, je satisfais tout ensemble mon devoir et ma vanité, et je souhaiterais pouvoir faire connaître à toute la terre combien je vous suis redevable, afin que toute la terre connût combien vous m’avez estimé. Cet effet de l’amour-propre ne vous surprendra pas ; vous savez trop qu’il est naturel à tous ceux qui se mêlent d’écrire ; je tâche à me purger du reste de leurs défauts, mais je ne saurais me défendre de celui-ci, ni m’empêcher de vous dire que j’ai toujours dans l’esprit les douces idées de l’heureuse représentation de cet ouvrage qui fut faite il y a quelque temps en votre présence, que je revois à tous moments cette obligeante attention que vous lui prêtâtes, et que je prends plaisir sans cesse à me souvenir des applaudissements dont vous daignâtes l’honorer, et des témoignages avantageux que vous lui rendîtes. Après cela, Madame, je ne puis que je n’aie quelque bonne opinion de moi-même ; y résister opiniâtrement, ce serait vous accuser d’injustice, et c’est ce que toute la France n’oserait faire, puisqu’il est certain que votre suffrage y sert de règle à celui des plus honnêtes gens de la cour, que c’est trouver le bel art de leur plaire que de vous avoir plu, et que l’envie n’ayant osé jusqu’ici vous disputer le privilège de prononcer souverainement sur les plus belles choses, la moindre répugnance à s’attacher au jugement que vous en faites, passe auprès d’eux pour une marque infaillible d’une connaissance mal éclairée. Celui que vous avez rendu depuis peu en ma faveur a sans doute été au-delà de mes plus flatteuses espérances, et toutefois, Madame, il faut que j’avoue qu’il ne suffit point à cette insatiable soif de gloire où vous m’avez enhardi. Ce n’est pas que je vous le demande plus favorable, mais je vous le demande une seconde fois, et je n’envoie ces Illustres ennemis vous faire hommage jusque dans votre cabinet, qu’afin qu’ils reçoivent de vous à la lecture, ce qu’ils en ont déjà reçu durant le récit. Je n’ose douter que je n’obtienne aisément cette demande, puisque c’est vous demander seulement que vous soyez toujours vous-même. Je dois savoir que le faux éclat de la représentation n’a point encore eu le pouvoir de vous éblouir, et que comme parmi toute sa pompe, les véritables défauts de nos plus brillantes productions n’échappent jamais aux lumières pénétrantes de votre discernement, leurs véritables beautés ne perdent rien auprès de vous pour être dénuées de ce dehors fastueux dont les revêtent nos théâtres. Je ne parle point de tant d’autres belles qualités qu’il semble que le ciel se soit plu assembler en votre personne, il me suffit d’en admirer la merveilleuse union, et d’être assuré que l’on imputera plutôt mon silence à mon respect qu’à la crainte de me faire soupçonner de ces déguisements artificieux, qui pour élever trop haut ceux que l’on entreprend de louer, les font souvent perdre de vue, et qui les cachent si bien sous les apparences trompeuses de quelques vertus empruntées qu’il est presque impossible de les reconnaître. Ce genre de flatterie, dont la plus vaste ambition se laisse quelquefois chatouiller, n’aura jamais de part aux éloges que vous avez droit de prétendre ; pour rien appréhender de ses industrieux mensonges, vous donnez matière à trop de glorieuses vérités, et il sera toujours plus difficile d’exprimer parfaitement tout ce que vous êtes que de faire paraître avec adresse ce que les autres ne sont pas. Aussi, Madame, n’ai-je pas la témérité de m’engager à une entreprise où les plus délicates plumes auraient peine à réussir, elle vous serait trop injurieuse, et je croirais me rendre peu digne de la protection dont je prends la liberté de vous importuner pour ce poème que je vous présente. Vous avez toujours témoigné tant de bonté pour moi, que j’ose me promettre que vous ne la lui refuserez pas, et que vous souffrirez qu’en vous le présentant, je prenne l’occasion de vous rendre de très humbles grâces, non seulement pour les faveurs que vous lui avez prodiguées, mais pour celles que vous avez répandues sur ceux de ma façon qui l’ont précédé. Comme les sentiments d’estime que vous en avez laissé paraître en ont fait tout le succès, il y aurait de l’ingratitude à ne pas confesser que je vous en dois toute la gloire, et que l’ambitieuse ardeur de les mériter a plus contribué à donner de nouvelles forces à mon faible génie, que n’auraient fait les soins assidus de l’étude la plus sérieuse. Cette obligation que je vous ai me paraît trop pressante pour différer davantage l’aveu public que je vous en fais. Daignez l’agréer pour reconnaissance d’une partie de ce que je tiens de vous, et puisque je ne suis pas assez considérable pour oser espérer de m’en pouvoir acquitter entièrement par mes services, soyez assez généreuse pour vous contenter de la respectueuse protestation que je fais d’être toute ma vie,

Madame,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

T. Corneille.