Transcription Transcription des fichiers de la notice - Dédicace de <em>Théodore, reine de Hongrie</em> Boisrobert, François de (1592-1662) 1658 chargé d'édition/chercheur Lochert, Véronique (Responsable du projet) Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1658_boisrobert_theodore-hongrie 1658 Fiche : Véronique Lochert (Projet Spectatrix, UHA et IUF) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Français

À Madame la procureuse générale.

Madame,

Si ma Théodore qui a été accusée fort injustement n’avait été pleinement justifiée, je me serais bien gardé de vous demander pour elle l’honneur de votre protection, quoiqu’elle en ait besoin dans un siècle où je vois si peu d’indulgence et de justice. Je connais trop la délicatesse de votre vertu, qui aurait eu lieu de se tenir offensée, si j’avais souffert que cette belle reine vous eût abordée avec un soupçon de crime qui eût duré plus d’un jour, mais comme elle a confondu ses premiers accusateurs, et que nous avons eu pitié du repentir et de la faiblesse des autres qui l’ont attaquée, je suis bien assuré, pour peu qu’il vous plaise la regarder d’un œil favorable, qu’elle n’aura pas plus de peine à triompher après sa mort, qu’elle a fait durant sa vie de ceux qui l’ont voulu perdre. C’est sur cette confiance, Madame, que j’ose prendre la liberté de vous la dédier, afin que sa vertu qui a eu le malheur de tomber dans un injuste soupçon, en soit dorénavant garantie par l’approbation de la vôtre, qui n’a jamais souffert aucune atteinte. Depuis soixante ans qu’il y a que je suis au monde, si je n’ai vu déchirer la réputation des plus parfaites de votre sexe, j’ai vu du moins soupçonner toutes celles qui ont reçu des avantages de la nature, quoiqu’ils fussent infiniment au-dessous des vôtres. Ce n’est point une malignité qui soit née de la corru ption de ce siècle : elle a été de tous les siècles, et de toutes les nations ; on a partout et de tout temps fait injustice à votre beau sexe, et on s’est toujours imaginé que la sagesse était comme incompatible avec la beauté. Je ne vois presque aujourd’hui que la vôtre seule, Madame, qui soit généralement respectée de toutes les langues et de toutes les plumes, et qui se soit élevée à ce haut point d’estime où nous la voyons du commun consentement de la renommée. Ma Théodore est donc en sûreté sous votre nom. Mais après avoir pourvu à la défense de mon héroïne et de mon ouvrage, je souhaiterais, Madame, de pouvoir dire qu’en vous le présentant, je satisfais aussi à quelque partie des obligations que j’ai à votre maison, mais tant s’en faut que je l’ose, je n’ai pas seulement la hardiesse de le penser. Car que puis-je pour votre joie, et que tenterai-je pour votre gloire ? Quelque effort que je fasse, suis-je bien assuré que vous me voudrez discerner parmi la foule de tant de personnes illustres qui cherchent à vous honorer ? Oui, Madame, je n’en doute pas. Je connais vos bontés comme vous connaissez mes faiblesses ; ce serait en vain que je les voudrais cacher à ceux qui nous paraissent si éclairés, et qui ont une si générale connaissance de toutes choses. C’est, à dire vrai, ce qui fait toute ma consolation au milieu de mes défiances et de mes craintes, car si vous pénétrez aussi bien dans les cœurs que dans les esprits, vous ne pouvez ignorer la passion pleine d’ardeur et de reconnaissance, avec laquelle je suis pour toute ma vie,

Madame,

Votre très humble, très obéissant, et très obligé serviteur,

Boisrobert, abbé de Châtillon.